Synopsis
Exclusivement composé d’extraits, qu’accompagne un commentaire en voix off dit par l’actrice Fairuza Balk (Dangereuse séduction), Beyond Clueless se veut une étude du teen movie moderne. Charlie Lyne choisit ici de se focaliser sur la période 1995-2004, qui fut l’une des plus prolifiques en la matière, mais n’a cependant pas été célébrée par la critique, comme ont pu l’être, sur le tard, la génération Hughes ou, dès son avènement, celle des productions d’Apatow. Le cinéaste s’attachant à identifier des motifs communs plutôt qu’à distinguer l’ambition des films, les assassins d’Elephant croisent les ados libidineux d’American Pie, et la Laney Boggs d’Elle est trop bien la Beth Lisbon de Virgin Suicides. Un genre aux multiples déclinaisons (comédie romantique, slasher ou fantastique), dont le champ d’investigation se cantonne pourtant à quelques années (celles du lycée) et, dans l’ensemble, à une poignée de décors emblématiques. Le film s’ouvre ainsi sur un montage de plans d’exposition de teen movies (panoramiques glissant à la surface des lycées, rangées de bimbos avançant dans les couloirs), interchangeables au point de composer un univers autonome. La première traversée de la cafétéria du lycée (dans le beau Lolita malgré moi, par exemple) relève ainsi, pour tout nouveau venu, de l’épreuve de force : il s’agit de saisir, en un coup d’oeil, les mécanismes d’exclusion à l’oeuvre et le système de castes (sportifs, intellos ou bimbos, élèves fortunés ou plus modestes...) auquel ils donnent lieu. Or, c’est bien en cela que le teen movie diffuse une mélancolie singulière. Car cet amalgame de contraires, ce grand bain de sociotypes est appelé à voler en éclats (une fois le diplôme obtenu, les lycéens sont disséminés aux quatre coins du pays) ; car se consomme ici, plus qu’un apprentissage, le passage d’un état à un autre. Le bal de fin d’année - où l’enjeu consiste à danser avec l’élu(e) de son coeur -, la remise des diplômes - lycéens en toges soyeuses et chapeaux à pompons jetés en l’air -, fixent une identité avec laquelle il s’agira désormais de composer. Jamais plus nous ne verrons si belle transformation que celle de Rachel Leigh Cook (Elle est trop bien), ado marginale et mal fagotée, en ravissante jeune femme ; jamais plus n’existera cette belle et douloureuse indétermination, cette valse-hésitation entre les possibles. Genre passionnant, donc, tant ce qui s’y joue est à la fois dérisoire - sitôt appréhendés les codes du lycée, il s’agira de passer à autre chose - et essentiel - l’initiation sexuelle notamment. Du côté des garçons, le héros de La Main qui tue blâme ainsi sa main droite soudain incontrôlable - l’instrument de sa masturbation - pour les horreurs qu’il commet. Du coté des filles, l’héroïne de Ginger Snaps voit l’arrivée de ses premières règles coïncider avec les signes de sa transformation en loup-garou. Le corps se métamorphose, la libido fait rage, la promesse (et le spectre) de la "première fois" se profilent... Beyond Clueless, l’oeuvre d’un passionné (il fallait au moins ça pour éprouver quelque sympathie à l’égard du nanar Euro Trip), est une évocation pertinente de l’industrie lourde - et de la plaque sensible - du teen movie.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
