Synopsis
Yeelen, quatrième long métrage de Souleymane Cissé, sorti en 1987 et lauréat du prix du Jury à Cannes la même année, retraçait l’apprentissage du savoir et de la culture bambara au Mali, une quête de lumière sur une terre de connaissance. Trente ans plus tard, O Ka est une mise en garde, une quête pour faire triompher la vérité dans ce même pays, aujourd’hui rongé par la corruption. O Ka, « notre maison » en langue bambara, s’ouvre sur une légende. Celle des femmes appartenant au peuple des Soninké, une tribu malienne qui, depuis la nuit des temps, font preuve de bravoure pour se défendre. Des femmes fortes, comme les quatre soeurs de Souleymane Cissé, expulsées injustement de chez elles, qui se sont battues sans relâche pour récupérer leur maison et auxquelles O Ka rend hommage. À la manière d’un conte, la première partie narre les origines familiales et l’enfance heureuse du réalisateur auprès de ses soeurs et de sa mère. La mère biologique, protectrice et aimante, autant que la mère patrie et sa culture qui l’ont façonné et qu’il n’a de cesse de vouloir transmettre. Accompagné de ses petits-enfants, Souleymane Cissé entame le récit de l’expulsion de ses soeurs en 2008 en revenant sur le chantier de la maison qu’il rénove pour elles, pour qu’elles puissent un jour être définitivement à l’abri. Toutes quatre sont victimes de la crise foncière qui gangrène Bamako et plus particulièrement le quartier de Bozola, où un système d’escroquerie initié par les commerçants eux-mêmes - avec la complicité des politiques - a jeté de nombreuses familles à la rue. Propriétaires d’une maison acquise par leur père avant l’indépendance du pays, les soeurs ont été trahies par leurs voisins et amis, la famille Diakité, qui ont usé de faux témoignages et de documents falsifiés pour s’approprier leur toit. Et parce qu’elles ont refusé de verser des pots-de-vin aux juges, le tribunal a donné gain de cause à leurs voisins sans scrupules. Métaphore de l’effritement social du pays, O Ka est un film profondément humain qui mêle fiction, documentaire et enquête pour reconstituer les épreuves qu’ont traversées les soeurs. Au son des musiques sublimes d’Amine Bouhafa, compositeur de la bande originale de Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, Cissé s’engouffre, caméra à l’épaule, dans les ruelles étroites de Bozola, où s’entassent les infortunés qui sont victimes du même sort, et suit les médias locaux, qui tentent de faire la lumière sur ce conflit symbolique de l’état de déliquescence avancée de la justice au Mali. Sans rage, le réalisateur malien filme le désarroi d’une population victime du piétinement de la vérité dans un pays qui vit sous la terreur des tyrans des temps modernes. Le spectre de la destruction des mausolées de Tombouctou et de la menace djihadiste hante à ce titre la dernière partie du film. Le salut, dit Cissé, viendra de l’éducation, de l’unité pour faire face à la haine, de la justice sans laquelle le Mali ne peut se reconstruire. Une justice qui sera finalement rendue pour ses soeurs en 2015, avec l’annulation de l’ordonnance d’expulsion par la Cour suprême, ultime note d’espoir pour l’avenir du pays.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
Réalisateur