Synopsis
À l’occasion des obsèques de l’un d’entre eux, Denis "Panik" Paraceek, trois amis, d’anciens skaters de Berlin-Est, se retrouvent et évoquent les souvenirs des années 1970. Ils racontent ce qu’a pu, au plus fort du régime d’Erich Honecker, représenter à leurs yeux la découverte (rendue possible grâce à une retransmission de la télévision tchèque) d’un objet mécaniquement réprouvé, car venant de l’Ouest, et donc honni car impérialiste par définition : le skateboard. Ils racontent aussi leurs premières planches faites maison, l’apprentissage, le sentiment de liberté, d’évasion, de réappropriation de l’espace urbain, et le "mouvement", plus spontané que structuré, mais subversif dans ces circonstances, qui en a résulté. Peut-être n’est-il pas anodin de noter que, dans la longue liste des festivals où Derrière le mur, la Californie s’est vu sélectionné, figure en bonne place le Cannes Independant Films Festival, manifestation parallèle au festival de Cannes dont l’existence semble aussi inconsistante et réfutable que peut l’être, disons... la présence des alligators dans les égouts de Paris. Pas anodin en ce sens que, pensé pour documenter l’apparition du skateboard en RDA, son essor parmi la jeunesse et, davantage encore, ce que la pratique de la planche à roulettes, la "philosophie" dont elle était le vecteur, révélaient de l’esprit de rébellion qui agitait une partie de la jeunesse allemande, sa dimension d’insubordination, de dissidence de l’intérieur en somme, ce premier long métrage de Marten Persiel ne cesse de faire le malin entre le documentaire et la fiction, de jouer, dans ce registre, avec le spectateur. En malaxant, en un brillant montage, d’abondantes images d’archives, parfois terrifiantes, d’authentiques éléments de "found footage", des séquences d’animation, des "home movies" d’époque (quand d’autres, pour avoir été tournés "à la manière de...", reconstitués en somme et joués par des acteurs, sont apocryphes) et des interviews rétrospectives de quelques-uns des protagonistes, le film finit par semer le trouble. Si bien qu’on s’y perd, qu’on ne sait plus si "le faux est un moment du vrai" comme le pensait Hegel ou le vrai, du faux, comme le spéculait Guy Debord. Et le risque existe dès lors de s’en désintéresser. Peut-être n’est-il pas inutile cependant de préciser qu’il s’agit moins d’un film sur le skateboard que d’un film sur la jeunesse, et surtout sur une dictature, qui fut entre autre une dictature de la performance sportive (il faut se souvenir de l’enjeu politique qu’a représenté l’olympisme pour la RDA). Ce qu’illustre bien la façon dont le père de l’un des personnages tyrannise son fils à propos de ses résultats en athlétisme et natation... Enfin, ce dont ce documentaire témoigne, en creux, c’est de la puissance des moeurs et de la culture populaire américaine, de son stupéfiant coefficient de pénétration, de telle sorte qu’aucun système, aussi fermé qu’il soit, ne semble en mesure de lui résister. Derrière le mur, la Californie ne s’en termine pas moins sur un constat amer, lequel entend que les révoltés d’hier sont devenus les réactionnaires, voire les salauds d’aujourd’hui. Ce qui, chacun en aura maintenant pris conscience, n’est pas propre aux dictatures, loin s’en faut.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
Réalisateur