Synopsis
En 2005, le cinéaste Hubert Sauper dénonçait, avec Le Cauchemar de Darwin, les conséquences de la mondialisation en Tanzanie. S'il recevait le prix du meilleur film documentaire européen, l'auteur devait également faire face à une polémique, certains l'accusant d'avoir eu recours à des procédés malhonnêtes. Cette fois, il tempère ses intentions et délaisse l’investigation au profit de la contemplation. Il se contente d’examiner les conséquences de la séparation du Soudan en deux États, la déchirure d’un peuple perdu dans des conflits religieux. Le rythme décousu révèle, au prix du paradoxe, les intentions méticuleuses du réalisateur. En multipliant les points de vue, bizarrement ficelés, il parvient tout de même à clarifier l’événement et à y déceler la souffrance identitaire d’une nation. La partition en deux entités du plus grand pays d’Afrique a révélé, plus que jamais, ses dissemblances internes, et a conduit à une situation explosive, envenimée par les aspirations des Occidentaux et, très vite, de certains pays asiatiques. Sur sa route, caméra à l’épaule, Sauper croise le racisme, la pauvreté, le pouvoir et la domination. Il rapporte de son immersion bienveillante dans le sud du pays des portraits riches et toujours pertinents. Le cinéaste avait à sa disposition un grand nombre d'images rendant compte d’un des conflits géopolitiques les plus importants de notre époque, grâce à la couverture médiatique de l'événement : Salva Kiir et son célèbre "chapeau de cowboy offert par Georges W. Bush", des électeurs présents par millions le jour du référendum pour l’indépendance, mais aussi des militaires et beaucoup d’armes... Mais il préfère montrer les coulisses, effectuant des va-et-vient entre la pauvreté et les signes de progrès, les villages et les usines, accaparées par les investisseurs chinois. Nous venons en amis capte les pratiques colonialistes et rend compte du choc culturel qui en découle. Au-delà d’un arrière-plan historique traversé de tensions, c’est pourtant une beauté suprême que vise le film. À bord d’un drôle d’avion (le réalisateur l’a construit lui-même avec de la toile et des boîtes de conserve), le spectateur profite d’une vue splendide sur ces espaces que les puissants déchirent et s’approprient. Mais ce sentiment de plénitude est rapidement rattrapé par le malaise que le film veut dénoncer : à travers les témoignages spontanés des Américains et des asiatiques, il nous fait prendre conscience de leur mépris envers les villageois soudanais, jugés retardés ou perçus comme une simple main-d’oeuvre désespérée. Sauper démantèle ces préjugés en pénétrant dans la culture du pays, et en nous initiant à ses pratiques et coutumes les plus intimes. La voix off - celle de Sauper lui-même - participe également du voyage et aide à clarifier certains points, sur un ton à la fois piquant et précis, pour dévoiler le fléau de la xénophobie de ces géants du globe. "Savais-tu que la Lune appartient aux Blancs ?", répètent les Soudanais du début à la fin - comme s’ils avaient fini par s’en persuader.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
