Synopsis
Alors qu’Ana Dumitrescu, photographe et réalisatrice, préparait la suite de son premier documentaire (Khaos, les visages humains de la crise grecque), survinrent les attentats de janvier 2015. Elle décida alors d’entreprendre un nouveau projet, afin de rendre compte des peurs réveillées par ces événements. Dans ce but, elle choisit ici d’interviewer vingt intervenants venant d’horizons divers - sociologue, chercheur, politologue, dessinateur de presse, rappeur, humoriste... Même pas peur brasse ainsi plusieurs thèmes, notamment l’identité nationale, l’Islam, la laïcité, l’austérité, la sécurité ou encore les valeurs républicaines. L’intérêt majeur du film est la pluralité des intervenants, car Même pas peur ! offre à chacun un espace pour délivrer une parole libre et singulière. Un autre des aspects intéressants du documentaire est son analyse du champ sémantique utilisé dans le vocabulaire politique contemporain, par le biais de l’évocation, par exemple, du débat autour de la revendication "Je suis Charlie". Monique Chemillier-Gendreau, l’une des intervenantes, professeur émérite de droit public et de sciences politiques, souligne ainsi que l’on se trouve aujourd’hui dans "une uniformisation de la parole exprimée" et déplore une obligation de "s’identifier". Alain Touraine, sociologue, nous rappelle quant à lui, à propos d’une autre thématique, que l’identité nationale "n’existe pas" et que "depuis les grandes invasions nous sommes un peuple pluriel", indiquant au passage que "le mot identité est un masque qui cache toujours des rapports de domination". Toutefois, si cette investigation sémantique et les questionnements soulevés par les différents intervenants offrent des pistes de réflexion, le documentaire n’évite pas certains des écueils du film militant. En raison, sans doute, de la rapidité du tournage, la forme choisie reste assez classique, soit une succession d’entretiens face caméra et d’interludes, qui manquent parfois de relief. On regrette également l’absence d’un vrai débat entre les intervenants, qui ne se rencontrent jamais, ainsi que le bref temps imparti aux réponses promises par la réalisatrice. Réponses qu’esquisse brièvement Monique Chemillier-Gendreau, en annonçant que "tout est à réinventer", jusqu’au vocabulaire politique, le mot socialisme étant, selon elle, désormais discrédité. L’intervenante suggère qu’en dépit de la crise, l’Union Européenne peut servir de modèle, en élaborant un programme démocratique permettant de remobiliser la jeunesse. Elle évoque également la capacité des populations à s’organiser pour fournir des réponses locales et son espoir d’une société nouvelle, qui prendrait le pas face à un État en déliquescence. Mais ce qui fait la richesse du film est aussi, paradoxalement, son point faible. En effet, il brasse trop de thèmes complexes, et chacun aurait sans doute mérité davantage d’attention pour que la réalisatrice puisse atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé : opposer des réponses à chacune des peurs qu’elle évoque. S’il n’est pas tout à fait abouti, Même pas peur ! reste tout de même une proposition qui encourage le débat et constitue une invitation à penser.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
Réalisateur