Synopsis
Mor Loushy, la jeune réalisatrice de ce documentaire critique, expose en préambule combien la guerre des Six Jours - dont l’appellation, restée dans l’Histoire, résume la sidérante rapidité - a façonné la mystique israélienne contemporaine et, au-delà, celle de toutes les écoles de guerre. Ce petit pays alors si neuf, structurellement, intrinsèquement torturé par le souvenir atroce de la Shoah, soudain encerclé par les armées arabes, dont, à l’époque, la plus redoutée de toutes, celle d’Égypte, balaya pourtant et jusqu’à l’humiliation - résurgence de la peur d’un anéantissement sans appel - les combattants ennemis, conquérant sur sa lancée Jérusalem, Gaza, le désert du Sinaï et la Cisjordanie. Pour Mor Loushy, loin d’être la clef de voûte sur laquelle reposerait la fierté juive, ce conflit et, à sa suite, l’occupation agressive des nouveaux territoires, la colonisation et le musellement afférent des populations civiles, est bien plutôt l’anéantissement de toutes les valeurs morales sur lesquelles le pays s’était alors construit. Pour nous le dire, elle utilise un dispositif aussi sobre que puissant en nous faisant entendre, quarante-cinq ans après leur enregistrement pour cause de censure militaire, de jeunes soldats d’alors qui, d’une voix claire et pourtant culpabilisée, témoignaient après la victoire de ce qu’ils savaient avoir établi : la fin des valeurs morales et la confusion inévitable qu’elle entraîne. Écoutant aujourd’hui, et pour la première fois depuis leur réalisation, ces enregistrements, les soldats d’alors (parmi lesquels Amos Oz, grande conscience de la gauche israélienne), désormais sexagénaires, sont filmés dans le saisissement de cette parole qui fut la leur et dont l’actualité reste évidente. Mor Loushy les regarde, silencieux, graves, souvent douloureux, attentifs à la parole vive et franche des jeunes hommes qu’ils étaient alors et, qu’en kibboutzniks militants et engagés, ils semblent ne pas avoir trahi. Pourtant, ce que dit aussi leur regard, c’est que jamais ils ne furent entendus. Émaillés d’images d’archives des conquêtes et de soldats dévalant d’un pas vif et joyeux les rues étroites de la vieille ville de Jérusalem, arabe depuis des siècles, jusqu’au Saint des Saints juif, le mur des Lamentations, les témoignages sonores se déploient, poignants, détaillant l’atroce litanie des guerres : massacre, épuisement, déplacement de populations, politique de la terre brûlée, haine inexpugnable alimentant en continu les braises de conflits faisandés. Pourtant, malgré son incontestable force, en raison de l’absence d’éléments de contextualisation, d’explication des enjeux et de mise en perspective, il n’est pas sûr que Censored Voices intéresse au-delà des cénacles déjà impliqués. Il reste alors, vibrante et entêtante, la piste qu’il ouvre : sortir de l’euphorie de cette victoire et de sa lecture hystérisée pour proposer une parole plus vraie et une analyse plus juste, plus mesurée et plus conforme aux faits. Ce sera déjà là un acte fort qui, militant pour la sortie d’une spirale infernale, pourrait apporter, simples et concrets, les éléments d’une coexistence paisible de deux États souverains et respectueux l’un de l’autre.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
