Synopsis
Documentariste canadien jouissant d’une certaine réputation (L’Encerclement), Richard Brouillette planta, en mars 2000, sa bonne (?) vieille caméra dans la bruyante salle de rédaction de Charlie Hebdo. Face à lui, assis de l’autre côté de la grande table, Bernard Maris, alias "Oncle Bernard", économiste aussi iconoclaste que brillant et rigoureux. Qui l’a lu ou entendu (dans ses chroniques sur France Inter notamment) sait combien son propos avait tout pour être passionnant. Et de fait, il nous captive lorsqu’il démonte les rouages et la perversité des jeux bancaires, les périls que l’économie virtuelle et la spéculation font courir à l’humanité. Lumineux aussi lorsqu’il s’attaque à la "dogma libérale unique", qui façonne depuis des décennies, nonobstant les résistances de courageux professeurs, la pensée économique ultra dominante. Discutable aussi, bien sûr, dans certaines de ses opinions trop péremptoires, mais stimulant, toujours. Et souvent visionnaire : on était en 2000, deux ans avant l’euro, et la plupart de ses propos restent hélas vrais en 2015. Bref, l’Oncle Bernard que beaucoup appréciaient, libre, chaleureux, disponible et modeste. L’Oncle Bernard qu’on aurait aimé retrouver davantage et surtout de manière moins désagréable. Car - il faut bien parler un peu cinéma ! - que voit-on ? Loin du micro, le réalisateur lance quelques termes généraux ou bouts de phrases à peine audibles tant les difficultés de perception liées à son très fort accent québecois sont amplifiées par la mauvaise qualité de la prise de son. Toutes les "11 minutes 7 secondes" (précise R. Brouillette) la caméra s’arrête : il faut la recharger. Le spectateur subit alors durant de longues secondes (minutes !) un écran noir tandis que B. Maris continue à parler en off... et que, du coup, on peine à l’écouter. À peine quinze ans après cette captation, le 7 janvier 2015, Bernard Maris était assassiné avec Cabu (que l’on voit et entend quelques instants rigoler d’un repas à venir de B. Maris avec Line Renaud, unique petite fantaisie bienvenue), Wolinski, Charb, Tignous, Honoré et plusieurs autres membres de la rédaction de Charlie par des tueurs se réclamant de l’islam. Et en décembre, sort ce film. Un film, vraiment ? Si Brouillette voulait lui rendre hommage (laissons-lui le bénéfice du doute), c’est tragiquement raté. Renouant avec le noir et blanc grisâtre et morose qui semble être sa marque de fabrique, il n’a effectué aucun travail cherchant à pallier, ne serait-ce que quelque peu, les graves défauts et la triste banalité formelle du document brut, aucun montage y mettant un peu de cohérence et d’ordre ! Et notre filmeur-enregistreur de théoriser, bien sûr, ce je-m’en-foutisme, en n’hésitant pas à affirmer que son "choix de ne pas intervenir sur le matériau, de ne pas le monter constitue un geste créatif tout autant que 4’ 33’’ de John Cage par exemple" ! Espérons que le spectateur qui rechignera à bon escient à dépenser plusieurs euros pour subir ce brouillon suffisant, pourra avoir facilement accès, en d’autres occasions et ailleurs, à la stimulante parole et à la tranquille simplicité d’Oncle Bernard.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
