Synopsis
Le 7 janvier 2015 les frères Kouachi, au nom du terrorisme islamiste armé, anéantissaient à coups d’AK 47 la rédaction parisienne du journal satirique Charlie Hebdo, fauchant, entre autres, quelques-uns des plus grands dessinateurs de presse français : Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, ainsi que l’économiste Bernard Maris et la psychanalyste Elsa Cayat. Les 8 et 9, A. Coulibaly assassinait, au même nom, une policière puis plusieurs clients d’un hypermarché casher. Réalisé dans l’urgence et dans l’émotion - ce qui en explique l’aspect brouillon d’opus incertum et le choix, sans doute discutable, d’un ton un peu cérémonieux au dépend de l’"esprit Charlie", ironique et irrévérencieux, revendiqué par les survivants même en pleine tragédie -, ce documentaire se veut un hommage à toutes les victimes. Il s’attache particulièrement à "ceux de Charlie" avec lesquels Daniel Leconte avait tissé des liens amicaux lors du tournage de son documentaire C’est dur d’être aimé par des cons, qui restituait le procès intenté en 2007 par la Mosquée de Paris à Charlie Hebdo, après sa publication des caricatures danoises de Mahomet. Pour tenter de sortir de l’état de choc et de sidération provoqué par les attentats, Emmanuel Leconte a sollicité son père, Daniel, dans les jours qui suivirent. Ensemble, ils ont revu les images de 2007 et décidé de redonner voix à l’équipe de Charlie. Très vite ils proposent leur projet aux survivants de la rédaction qui, à l’exception de Luz, acceptent de témoigner. Composé d’archives, d’entretiens et d’images de la confection du "numéro d’après", L’Humour à mort ne se contente pas de se placer dans l’affect meurtri qui en a été le moteur. De la parole des rescapés, exemplaire de dignité, aux joyeuses séquences de karaoké où chaque disparu y va de sa chansonnette, les Leconte prennent le parti d’aller de l’effroi des récits de la terreur à la lumière des souvenirs heureux, du mortifère de l’abattement à la vitalité de la résilience. Défilent ainsi : le beau visage inondé de larmes de la dessinatrice Coco, contrainte, une arme sur la nuque, de faire le code d’accès aux locaux du journal et dont la voix ne tremble pas pour décrire l’atroce cauchemar où l’on jetée les assassins, l’émotion maîtrisée d’Éric Portheault, cogérant du journal, dont la chienne vint protéger la figure pour sans doute épargner à son maître ce dont elle avait été témoin, le verbe distancié d’un Riss, allure de dandy las, blessé pendant l’attaque, le sourire forcé, peut-être pour ne pas pleurer, de l’avocat Richard Malka, le vacillement de Marika Bret à l’évocation de Charb, cible n°1 des tueurs, la colère et le dégoût de Philippe Val contre un article accusatoire de Delfeil de Ton dans l’Obs. Et puis surgissent les morts, soudain si vivants, leur voix, leur sourire, le tranquille courage de Cabu, la classe d’Honoré, l’oeil malin de Mustapha Ourrad, le correcteur algérien... La vie gagne certes, comme la mer, toujours renouvelée, et les dessins restent, immortels, mais leurs si talentueux auteurs ont à jamais disparu. Un peu bancal, sacrifiant parfois maladroitement à l’esprit de sérieux, ce film, irrigué d’affection et d’une évidente admiration, dégage un palpable sentiment de reconnaissance. _M.D.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
