Synopsis
Né en 1937 à Torun (Pologne), élevé dans la haine du nazisme, Adam Jacek Winkler perd des membres de sa famille lors du massacre de Katyn perpétré par l’URSS contre 4 500 officiers et intellectuels polonais en 1940. Devenu antibolchévique, il émigre à Paris en 1960, y travaille comme dessinateur et peintre en bâtiment. Il s’initie aussi à l’alpinisme. En 1968, il manifeste contre les communistes. En rejoignant Prague lors du fameux "Printemps", il est incarcéré en Pologne avec sa femme Maria (de qui il aura sa fille Anna). Libérés, ils regagnent Paris. 1979. Les Soviétiques envahissent l’Afghanistan. Il plante un drapeau afghan au sommet du Mont Blanc, acte qui lui vaut la Une du New York Times. Parti combattre auprès du commandant Massoud, il en devient l’ami. Revenu en France après 1989, il meurt dans l’ascension du Mont Maudit en 2002, près d’Annecy. Pour faire de cet incroyable parcours le deuxième opus de sa trilogie consacrée à l’héroïsme, la cinéaste roumaine Anca Damian reprend, en les enrichissant, les qualités graphiques et narratives du premier chapitre, Le Voyage de Monsieur Crulic (2011), lequel narrait la destinée tragique d’un inconnu victime d’une injustice judiciaire : voix off se racontant, images entremêlant le papier découpé, le dessin animé, la photographie, le film, le collage, la surimpression... Le figuratif, le symbolique, l’allégorique, alternent au fil des situations et des pays évoqués. Plusieurs dessinateurs ont été sélectionnés sous la direction artistique du canadien Theodore Ushev, avec pour consigne "l’imperfection de l’animation pour exprimer le destin chaotique de Winkler". La construction chronologique est très subtilement agencée : naissance des convictions, maturation (à Paris, en Tchécoslovaquie), approche de la mort avec l’alpinisme, combat, épilogue. De nouveau, la magie opère. Mais à l’inverse de M. Crulic, Winkler a choisi d’être un "héros". Ou plutôt un "chevalier" des temps modernes, fidèle à son idéal libertaire, indépendant de tous les systèmes (il ne se faisait payer qu’en liquide car il refusait d’avoir une carte bancaire, par exemple). Dès lors, ce formidable documentaire s’écarte de l’émotion que suscitait l’injustice dont fut victime Crulic, pour nous amener à une réflexion plus distanciée sur l’engagement, l’idéalisme et ce qu’ils impliquent de sacrifices librement consentis (confort et sécurité le cédant à la peur et à la mort omniprésente), d’abandons nécessaires (sa fille) ou d’égocentrisme mystique ("Je me moquais de mourir mais pas bêtement"). Il est question aussi de la frontière ténue qui sépare l’héroïsme du fanatisme. Plus incidemment, Anca Damian nous rappelle ce que notre époque secouée par le terrorisme doit à ce moment précis (les attentats du 11-Septembre ont suivi de deux jours l’assassinat de Massoud). L’héroïsme serait-il affaire de contes et de conteurs ? C’est ce que semble suggérer l’épilogue où l’on voit Adam Winkler raconter à sa fille une histoire d’enfants emprisonnés par les talibans pour des cerfs-volants et Massoud les libérant en chevauchant des girafes. Ce biopic beau et intelligent a obtenu une mention spéciale du jury au festival de Karlovy Vary en 2015, et le Grand Prix Licorne d’Or à celui d’Amiens en 2015.
© LES FICHES DU CINEMA 2015
