Synopsis
Premier long métrage de Florence Arrigoni-Neri, répertoriée à ce jour comme productrice de documentaires, Dakar, ta nostalgie va son paisible chemin, campé sur deux jambes. En évoquant l’attachement de l’auteur au Sénégal en général et à Dakar en particulier - où, en 1995, dès son premier voyage, elle allait rencontrer Moustapha Ndoye, futur cinéaste, et partager sa vie - la première s’appuie sur l’afflux de souvenirs, une relation d’appartenance et d’intimité avec la ville, la peine consécutive au décès, survenu après quatorze ans de vie commune, de son compagnon, et d’un certain nombre de ses amis africains. La seconde, elle, s’attache à témoigner du sentiment grandissant de fragilité et de précarité de l’existence en Afrique - sentiment que le décès de Moustapha n’a fait que renforcer, on le devine -, des difficultés à se soigner des plus humbles, partie non négligeable de la population, de la lutte à mener pour survivre dans des conditions à peu près acceptables, se façonner un quotidien plus favorable. Ce qui, outre sa douce solennité, donne à l’une des séquences du film la forme d’une cérémonie enfin rendue aux proches fauchés en plein élan, d’un mémorial des amis partis trop vite, d’un tombeau pour la jeunesse sacrifiée. Il procède de tout cela une déambulation mélancolique à travers le passé d’une part, de l’autre, les rues du chatoyant centre-ville de Dakar couramment appelé "le Plateau". Flânerie qui ne fait pas étalage de sa dimension poétique à l’inverse du commentaire en voix off, dit par la réalisatrice en personne, qui s'efforce incessamment d’en faire démonstration. À quoi s’ajoutent des extraits de poèmes de Léopold Sédar Senghor, Birago Diop ou encore Hamidou Dia, murmurés par le timbre de basse profonde de Issa Samb, dit Jo Ouakam, peintre et écrivain, figure emblématique du Plateau dont l’allure et la silhouette ressemblent, soit dit en passant, à celle de Lee Scratch Perry. Du côté du présent, Florence Arrigoni-Neri recueille, des abords du magnifique hôpital de Dakar aux méandres du Plateau, divers témoignages d’amis et de "gens de peu", comme les nommait le sociologue Pierre Sansot : une vendeuse d’arachides ; une femme dont le père, diabétique, est hospitalisé ; un marchand de journaux ; un homme qui, une ordonnance à la main, lui demande quelques francs CFA pour acheter des médicaments... À l’image de Maktar Ndiaye, dit Dada, clown et marionnettiste très apprécié des enfants, dont les propos font froid dans le dos : "Dans son for intérieur, chacun se demande quand ce sera son tour. Il y a comme une fatalité. Dans les discussions, on s’empêche de faire des projets tellement on a d’amis qui sont partis". Et peut-être ce sentiment de résignation souriante, de capitulation tranquille, dont la colère semble avoir été, sinon proscrite, usée ou anesthésiée, constitue-il le noyau dur de Dakar, ta nostalgie, son beau souci, le véritable sujet de cette promenade à travers une ville et un état d’esprit. De ce renoncement, la réalisatrice fait un film élégant, aussi fragile probablement que peut l’être la vie, si vulnérable, de ce côté du monde.
© LES FICHES DU CINEMA 2016