Synopsis
Dans quelle mesure notre vie est-elle structurée par nos relations amoureuses ? Sur un ton plutôt comique, Chris Waitt avait, en 2009, apporté sa réponse en allant rendre une visite surprise à chacune de ses ex-petites amies pour tenter de comprendre ce qui n’avait pas fonctionné entre eux, et en apprendre plus sur lui. Il en avait tiré le très réussi Toute l’histoire de mes échecs sexuels. Pour Happily Ever After (l’équivalent idiomatique en anglais de la formule "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants"), Tatjana Bozic a voulu découvrir (ou parfois se remémorer) les noeuds, les points de tension et les crises passées pour redonner un nouveau souffle à son couple, qui bat de l’aile. Un drôle de pari. Elle a pour ce faire effectué une démarche sensiblement identique à celle de Chris Waitt, à ceci près qu’elle a prévenu ses anciens amants qu’elle entendait les revoir. Ce qui est loin d’être anodin : exit le comique de situation un brin répétitif et attendu que peuvent provoquer les rencontres fortuites, place à l’introspection et à la confidence. Un des atouts du beau documentaire autobiographique que signe la réalisatrice croate réside justement dans la sobriété de la mise en scène, qui ne vient pas parasiter l’émotion. Les interrogations de Tatjana Bozic sont nombreuses et touchent au coeur de la question des relations sentimentales : pourquoi a-t-on ce sentiment de se perdre, de se dissoudre dans l’autre dès lors qu’on aime ? Quel est ce lien intangible, irrationnel, qui nous unit à l’autre et qui peut se rompre d’un moment à l’autre ? Cette aliénation et ce basculement de la raison, elle les a perçus à chacune de ses relations marquantes. En plus d’une étude psychologique qui donne lieu à une subtile et audacieuse maïeutique, Happily Ever After est l’occasion d’un autoportrait. En se découvrant au travers d’un film sur elle-même, la réalisatrice, à la fois objet, sujet et agent du projet, se donne à voir à la fois en analyste distanciée de sa psyché et de son histoire, mais aussi en démiurge à la pulsion créatrice irrésistible. Elle ne dissimule donc ni sa sensibilité d’artiste, ni sa fragilité par rapport à sa mère, disparue il y a quelques années, et à laquelle Happily Ever After rend un vibrant hommage. Tatjana Bozic et son histoire sont d’autant plus fascinantes que cette odyssée amoureuse retrace, à travers le parcours de la cinéaste, tout un pan de l’histoire européenne de la seconde partie du XXe siècle. "Je suis née dans un pays qui n’existe pas", dit cette citoyenne du monde, qui a pris à 15 ans la direction de l’URSS, "un pays qui a commencé à s’effondrer peu après (s)on arrivée". La convocation de plusieurs us et coutumes nationaux, la volonté de mettre les clichés à l’épreuve du réel (aimer "à la russe", c’est éprouver des élans de passion ; en Croatie, les femmes ont la réputation de s’adapter aux hommes et non l’inverse, conformément au cadre partiarcal de la société)... Tout cela vient enrichir un film enlevé et intelligent, qui ne manquera pas de faire écho à bon nombre de réflexions que chacun peut avoir sur l’amour, le vrai, le bel amour.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
