Synopsis
Certes, ex-prof de lycée vingt ans durant, venu à la philo par la science-fiction, Alain Guyard est un vulgarisateur narcissique, séducteur, au vocabulaire volontiers trivial par souci d’être compris de tous. Fondateur de Diogène Consultants, il s’est institué philosophe forain, parcourant le grand Sud-Est (Gard, Aveyron, Hérault) ainsi que la Belgique, pour parler des grands philosophes. Mais avec lui, on fréquente les amoureux de la vie et du sensible : Nietzsche, Épicure, Lucrèce, Aristote, Hegel (pour le rapport à l’Autre). Les tenants de l’ordre kantien et de l’idéal platonicien en sont pour leurs frais. Comme Socrate, qui découvrit la philosophie dans la boutique du cordonnier Simon, il agace, mais n’apporte pas de réponse personnelle. Il le dit souvent : "je ne philosophe pas". "Où on est curieux, ça suscite de la curiosité", se réjouit une spectatrice. Une autre le regrette, avant de comprendre ce qu’elle pourra tirer d’un effort personnel. Tel Jean-Pierre Hadot, il rappelle que philosopher, c’est trouver dans sa pratique quotidienne sa place dans l’univers. Ainsi Alain Guyard part-il des mouvements d’un ami forgeron pour définir le sens profond de la danse dans un institut de danse contemporaine à Nîmes. Il évoque Jankélévitch et son amour de la vie avec des infirmières en soins palliatifs du CHU de Montpellier ("Tant que je me réveille, ça va", semble confirmer un malade du cancer). Il parle de l’harmonie de la nature en milieu rural, à Nuces ("Lucrèce en campagne, c’est quand même quelque chose" s’en émeut un habitant). Il rappelle à des puéricultrices du CHU de Nîmes pourquoi la vie ne s’arrête pas à la biologie. Quelle émotion quand un détenu de Marche-en-Famenne (Belgique) confie que la philo "est une forme d’évasion toujours à notre portée", après que Guyard a cité Socrate refusant de s’évader ! La vérité demandant de la patience, de la même façon, au fil des images et des interviews d’Alain Guyard, le documentaire se met peu à peu à l’unisson du propos. L’homme, se revendiquant de Coluche autant que de la métaphysique, se montre généreux, passionné, soucieux que chacun "devienne propriétaire de sa vie" et trouve sa dignité, le discours se faisant ainsi politique, au sens étymologique du terme. La dénonciation du capitalisme, pourvoyeur de pathologie, ôtant tout esprit de solidarité et faisant de la satisfaction du plaisir "un besoin permanent, suscitant des frustrations destinées à nous empêcher de penser à l’essentiel"... est lumineuse : mieux qu’une charge, c’est un salutaire réajustement de la pensée. L’important n’est pas tant ce qu’est Alain Guyard que ce qu’il permet en apportant ses "boîtes à outils" : penser par soi-même. Ironie ou juste retour des choses chez cet homme invitant à "pédaler plutôt que de se regarder pédaler", il reconnaît que le film l’a amené à s’interroger sur son action et à la théoriser, ce qu’il résume magnifiquement sur une plage déserte où il est venu se recentrer et se relier à ses sensations ("C’est ici que meurent les mots") : "rien n’est plus important que la liberté". Alors oui, quoi qu’on puisse penser de sa méthode et de sa personnalité finalement attachante, courez "entendre" ce passeur de lumière. Vous en ressortirez l’esprit rafraîchi autant qu’éclairé.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
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