Synopsis
Maria Nieves Rego et Juan Carlos Copes furent, durant près de 50 ans, le couple phare du renouveau du tango argentin. Agés, au moment du tournage, de 81 et 84 ans, ils ont accepté, non sans réserve parfois, d’évoquer leur vie privée tumultueuse et leur long attelage artistique flamboyant. C’est essentiellement Maria, coupe de cheveux à la Zizi Jeanmaire, port altier et regard triste, qui raconte : son espagnol rocailleux dit les passions et les souffrances d’une vie. Elle a 14 ans et lui 17 quand ils se rencontrent pour la première fois, en 1948, dans une des "milongas" de Buenos Aires, ces clubs de tango fréquentés en fin de semaine par un public populaire. Ils attendront une année avant de danser ensemble et ne se quitteront plus, du moins en représentations, pendant des décennies. Alors que les années 1950-60 voient les clubs fermer un à un, Juan a une idée de génie : transformer cet inspiré défoulement des travailleurs urbains qu’est le tango en spectacle. Ambitieux, surdoué, inventif, il va dès lors, en collaboration avec les meilleurs musiciens, dont Astor Piazzolla, hisser cette danse, fondée sur l’improvisation, au rang d’art, enchaînant les tournées internationales, de l’Amérique du Sud à l’Europe, de New York, où ils s’installeront quelques années, à Tokyo. Folle de lui dès le premier regard, Maria le suit sur scène avec un incomparable talent, avec peine parfois dans la vie. Il l’appelle "la Unica" mais la trompe à l’envi avec les danseuses de la troupe. Humiliée, elle pardonne longtemps, puis ils se séparent. Elle continuera à se produire avec lui jusqu’à la rupture, à la fin des années 1990, de leur collaboration artistique, exigée par Myriam, la nouvelle compagne de Juan, dont il a un enfant. Cet enfant qu’il a toujours refusé à Maria... C’est la trahison ultime. Ils ne se parleront plus. C’est dire combien il a été difficile au réalisateur German Kral de les réunir aujourd’hui pour le dernier tango... avorté, qui constitue la scène finale. Il aura auparavant séduit par le dispositif, à la fois éclaté et parfaitement lisible, dont il use pour retracer le destin exceptionnel de ces deux personnalités extrêmes, incarnations d’une latinité portée à incandescence, pour qui le tango fut l’expression même de leur passion et de leur déchirement. Dans une sorte de mise en abyme formelle, le cinéaste croise, avec une grande fluidité chronologique : chorégraphies biographiques, dansées par de jeunes interprètes étourdissants dans des décors théâtraux, images d’archives, séances de travail réunissant les acteurs et leurs modèles et entretiens avec ces derniers. La formidable bande originale, signée Gerd Baumann pour la création, est composée de classiques du tango sélectionnés par Luis Borda et exécutés par le Sexteto Mayor qui participa, comme Juan et Maria, au fameux show de Broadway Tango Argentino. Malgré le déséquilibre entre les deux témoignages - l’adhésion de Juan au projet est à l’évidence moindre que celle de son ex partenaire -, le récit de Maria, réellement poignant, dessine avec honnêteté l’histoire de leur couple, intime et artistique. On se réjouit in fine que, désunis, chacun danse encore, avec une précision intacte.
© LES FICHES DU CINEMA 2016