Synopsis
Stress ? Anxiété ? Abattement ? Perte de confiance en l’humanité ? Chute de cheveux ? Allez voir André et les martiens. Aussi modeste que grandiose, ce film bref et sans apprêt est ce qu’il vous faut. C’est frais et léger comme une promenade, une conversation en terrasse, une partie de boules ; c’est une rencontre avec cinq artistes qui n’aiment pas qu’on les traite d’artistes. Ils font de l’"art brut", comme on dit depuis que Dubuffet a inventé l’expression. Ils sont autodidactes, ne correspondent à aucune école esthétique ; les objets qu’ils créent sont inédits, irréductiblement singuliers, bordéliques, farfelus. André Robillard a été interné en 1939. Il avait 9 ans. Il vit toujours en institution, mais il a sa maison indépendante, où il peut bricoler ses fusils. Des fusils incroyables, colorés, faits avec du bois, des boîtes de sardines, des machins en plastique. Il en a fabriqué des centaines. Peut-être des milliers. Paul ne crée qu’à partir de coquillages. Fasciné par le baroque de Michel-Ange, il conçoit des tableaux extravagants, comme cette Cité Pontificale, si fourmillante de détails qu’il semble qu’une journée entière ne suffirait pas à nos yeux pour les explorer. "Tu as poussé le boulot dans ses derniers retranchements !" lui dit le réalisateur. On ne saurait mieux dire. Le Québécois Richard Greaves est dans un tout autre univers : il construit des cabanes extraordinaires dans la forêt, des cabanes qu’il conçoit "comme des êtres humains". C’est pour ça qu’il a banni les clous. C’est immoral d’enfoncer un clou dans du bois. La corde, c’est mieux, et puis "ça permet de construire en silence". Ça tient de Thoreau et de Lewis Carroll. André Pailloux ne sait pas trop comment nommer ses oeuvres. Pas des moulins. Des "tournevents" ? C’est pas dans le dictionnaire. En tout cas, dans son jardin, au moindre coup de vent, ça tourne dans tous les sens, ça a toutes les couleurs, comme un champ de tournesols enchantés en pleine causerie. Judith Scott a été internée très jeune et a été coupée du monde durant quarante ans. Sa soeur jumelle, dont on l’avait séparée, l’a retrouvée et inscrite dans un atelier d’art. Elle ne parle pas, n’a plus de dents, mais quel joli chapeau ! Elle compose des sculptures à base de tout et de rien, qu’elle enveloppe de fils de laine noués. Travail méticuleux, précis, et infiniment mystérieux. Quand elle a fini, elle indique juste la porte de la réserve où on entrepose alors la pièce, et elle est déjà sur autre chose. André Robillard suggère, amusé, de proposer ses fusils invraisemblables à Bachar El Assad : "Ben oui, y a que moi qui y a pensé : mes fusils ils sont inoffensifs ! Ils tuent pas ! Il va trouver ça très intéressant !". On apprend aussi qu’André a été sur la planète Mars, mais ne dévoilons pas tout. Voilà un film absolument réjouissant de bout en bout, qui a l’intelligence de ne s’intéresser qu’à quelques créateurs, qui ne cherche pas à faire de la pédagogie mais propose une rencontre. On est ici entre Tod Browning et Bruno Dumont, à boire des coups avec les tordus en se disant que ça va être dur de se retrouver entre gens normaux après la séance.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
Réalisateur