Synopsis
Reprenant le principe et le titre des "voyages" de Martin Scorsese (Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, puis ...à travers le cinéma italien), Bertrand Tavernier se livre à son tour à une suite d’improvisations libres, à la fois pédagogiques et autobiographiques, sur le cinéma français. En une quinzaine de chapitres, il entremêle ici ses souvenirs, du premier film vu à l’âge de 6 ans (Dernier atout de Jacques Becker) jusqu’à Claude Sautet. Secondé par la documentaliste Emmanuelle Sterpin et le monteur Guy Lecorne, le cinéaste, alternant extraits, commentaires et anecdotes savoureuses, nous offre ainsi un pur moment de bonheur, rappelant combien cet art (qu’il associe aux feux d’artifice vus, enfant, lors de la Libération de Lyon, agencement de lumière et de spectacle) doit être aimé avant d’être dignement apprécié. Adoptant un ton à la fois ludique et savant, le film s’emploie à montrer comment l’art cinématographique progresse par le biais de petites originalités individuelles : un rapport nouveau au cadre, à la musique ou au jeu, fût-il discret. Ainsi, de l’épure de la mise en scène de Becker, ou du rythme propre à celle de Renoir, ou encore de l’originalité des musiques de certains films français, axées sur la prééminence d’un instrument (l’harmonica de Touchez pas au grisby, la trompette d’Ascenseur pour l’échafaud...), par opposition aux BO américaines, relevant davantage d’une "musique classique et orchestrale". D’ailleurs, dès 1977, Tavernier regrettait l’absence d’édition discographique de Van Parys, Cloërec, Auric ou Honegger, remarquant qu’il fallut attendre Truffaut (qui les fit réenregistrer) pour que l’on puisse réécouter les musiques de Maurice Jaubert. C’est aussi le mérite de Tavernier que d’ouvrir sa reconnaissance à tous ceux qui concourent au succès d’un film : chefs opérateurs, musiciens, décorateurs... Admiratif, il n’en reste pas moins critique. Ainsi, il précise, par exemple, que pour lui Melville n’était pas un bon scénariste, ou rappelle les dérapages de Renoir, qui écrivit, en 1941, deux lettres de dénonciation au ministère de la Propagande, avant de fuir aux États-Unis. Or, pour Tavernier, faire du cinéma, c’est aussi combattre et résister, position héritée de son père, René, fondateur de la revue Confluences qui, sous l’Occupation, publia Aragon, Éluard et Michaux. Grâce au Nickelodeon, ciné-club qu’il fonda avec Yves Martin et Bernard Martinand, Tavernier, lui, ressuscita ou aida, entre autres, des cinéastes oubliés, Edmond T. Gréville notamment. Outre la gratitude qu’il leur renouvelle ici, il souligne cette vérité de base : les films sont affaire d’influences, de transmission, d’entrelacs. Ainsi Quentin Tarantino confie-t-il, par exemple, ce qu’il doit au Doulos de Jean-Pierre Melville, lui-même fortement marqué par le cinéma américain... Enfin, en choisissant d’associer ce voyage cinéphilique à son propre parcours de vie, Tavernier nous inclut, nous aussi, dans son dispositif : nous avons vu certains de ces films, ils participent de notre mémoire, et c’est aussi un peu de notre vie qui s’écoule. Une régénérante leçon d’humilité, d’humanité et de plaisir, au discours plus universel qu’il y paraît.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
