Synopsis
Pour qui n’aurait pas eu la chance de contempler l’une des plus grandes collections de tableaux du monde, regroupés au musée madrilène du Prado, le documentariste espagnol José Luis López-Linares choisit de pallier ce manque en focalisant sur une seule oeuvre : Le Jardin des délices, triptyque d’inspiration chrétienne de Jérôme Bosch, peintre emblématique de la renaissance flamande. Le film s’ouvre sur les visages d’un public fasciné par le bestiaire fantaisiste et les monstres imaginés par Jheronimus Van Aken, "El Bosco" en espagnol. D’une complexité inouïe, cette oeuvre de commande de prélats ou de riches particuliers, datant de la fin du XVe siècle, se compose de trois panneaux de bois s’ouvrant sur l’univers énigmatique de l’artiste : Adam et Eve au Paradis avec Dieu, le jardin des délices, les tourments de l’Enfer. Une voix off vient ponctuellement éclairer le spectateur sur l’inspiration de Bosch, catholique conservateur mais peintre avant-gardiste, membre laïc de la Confrérie Notre Dame de son village natal, convaincu que l’Homme, succombant aux sept péchés capitaux, est voué aux feux de l’Enfer. Pour éviter le balayage récurrent et fastidieux des multiples détails du chef-d’oeuvre, le réalisateur convie plus d’une vingtaine d’intervenants : historiens de l’art, philosophes, scientifiques, musicologues, chanteurs, écrivains ou psychanalystes. Ces visiteurs spéciaux, d’origines diverses, appréhendent différemment ce tableau iconique par leurs questionnements perspicaces. Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, s’émerveille devant le caractère encyclopédique du retable quand Michel Onfray y décèle la "vérité du christianisme d’un artiste et non celle d’un curé". Salman Rushdie voit dans l’arbousier le fruit des plaisirs charnels, mais dont les épines symbolisent l’effroi et le chaos. Un musicologue répertorie les instruments de musique encore existants, quand la soprano Renée Fleming s’amuse à chanter une partition posée sur le postérieur d’un damné. Un plasticien y voit la Sagrada familia de l’architecte catalan Gaudí quand un historien y détecte la sauterelle surréaliste du Grand masturbateur de Dali. Des scientifiques passent les panneaux à l’infrarouge pour tenter de décrypter les intentions initiales du peintre. Afin d’illustrer la modernité de cette oeuvre hallucinante et d’élargir le champ des perceptions visuelles du spectateur, López-Linares propose astucieusement des accompagnements musicaux variés, tandis que sa caméra s’attarde sur des détails du tableau : Lana del Rey, Arvo Pärt, Elvis Costello, le violoniste Daniel Hope, Jacques Brel chantant Le Plat pays en flamand... Avec humour, il illustre la luxure par des images de Woodstock ou fait entendre intégralement le Notre Père ("...et ne nous laissez pas succomber à la tentation...") alors même que défilent les saynètes de damnés torturés aux enfers. Avec talent et modestie, le film ambitionne de poursuivre une conversation initiée dès le XVe siècle par les acquéreurs successifs entre le tableau et le spectateur, sans prétendre élucider le mystère Jérôme Bosch. Une réussite.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
