Synopsis
De qui est la phrase : "Nous survivons par l’instinct de survie. Seul l’acte d’aimer nous sépare du vide" ? Matthieu Ricard ? Darwin ? Et cette autre : "Être ou ne pas être, là est la question. Dire merde à ceux qui croient savoir, là est la réponse" ? Pierre Desproges ? Ne cherchez pas. Elles sont tirées d’Algorithme éponyme, recueil d’aphorismes d’Hélène Nicolas, alias Babouillec, 30 ans, autiste et nouvelle découverte de Julie Bertuccelli (La Cour de Babel, 2014), qui l’a suivie deux ans durant sans la moindre once de voyeurisme. Prolongeant son questionnement sur la mécanique de la communication, ainsi que sur le lien entre le mot et l’image, la réalisatrice nous plonge de façon à la fois douce et vertigineuse dans les mystères de la création même du verbe, son échange avec l’extérieur et sa réception par celui-ci. Plus Babouillec évolue à l’image, enfermée dans son corps, le visage bougeant par à-coups, son regard oscillant entre absence et indicible profondeur, plus elle livre ses émotions brutes, obligeant sa mère, Véronique, et le metteur en scène, comédien et réalisateur Pierre Meunier, qui adapte ici ses textes sur scène, à lui accorder bienveillance et fermeté, et plus la puissance de sa pensée nous épate. Parallèlement, nous suivons le patient travail de Véronique, mère d’une enfant "qui n’existait pas" et dont elle a pourtant, peu à peu, trouvé la clé d’accès. C’est sublime de beauté, de persévérance et d’amour réciproque entre elles. Il faut entendre Véronique expliquer avec ferveur comment elle apprit à sa fille, incapable de tenir un stylo, à opposer l’index et le pouce, geste qui aboutit au langage humain mais dont sont incapables les autistes. Et aussi voir l’attention avec laquelle elle aide sa fille à utiliser son casier contenant les lettres avec lesquelles elle compose ses mots, puis ses phrases, non avec logique mais par sa seule mémoire, comme Jean-Dominique Bauby enfanta Le Scaphandre et le papillon (1997) avec sa seule paupière gauche. Soudain, on s’interroge : d’où lui vient son vocabulaire, elle qui n’a fait que six mois de maternelle ? "Elle l’avait en elle, il fallait juste trouver l’ouverture", explique Véronique. Celle qu’avec un respect confondant Pierre Meunier a trouvé, lui aussi, afin d’adapter sur scène ses textes sans trahir ses propos. Et quand le mathématicien Laurent Derobert s’avoue séché après que Babouillec a répondu à l’une de ses questions par : "En libre raconteuse d’histoires le cosmos nourrit mes voyages", nous nous demandons qui est le plus enfermé, de ce "lot mal calibré, ne rentrant nulle part", ainsi que Babouillec se qualifie, ou de nos esprits fabriqués pour penser selon des normes. Comme le souligne superbement Derobert, "errare humanum est", traduit par "l’erreur est humaine", peut aussi vouloir dire "Errer (aller à l’aventure) est humain". On ressort de cette plongée dans son intimité sens dessus dessous, fort de mille questions sans réponse, plein, moins de compassion que de matière à penser : autant dire un peu plus sain d’esprit et bien plus humain.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
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