Synopsis
Dans l’Espagne foudroyée par la crise financière de 2008, nombreuses sont les victimes des fameux prêts toxiques grâce auxquels elles crurent pouvoir accéder à la propriété de leur domicile. Ces prêts ont la particularité de voir leur taux d’intérêt s’envoler après une période de stabilité à un niveau raisonnable. Les conséquences de cette monstruosité bancaire éclatent au grand jour dans le beau film de Sílvia Munt. La réalisatrice s’est attachée à donner la parole à des membres de la PAH ("Plataforma de Afectados por la Hipoteca", soit plateforme des victimes du crédit hypothécaire), qui ont choisi la solidarité et la résistance face à l’oppression retorse des banques, que l’État ne semble pas disposé à combattre : arrêter de payer, squatter et tenir bon jusqu’à obtenir la "dation", moindre mal consistant à renoncer à son bien immobilier en guise de paiement du prêt. Le documentaire, d’une grande sobriété, ne cherche pas l’effet. Récits face caméra, échanges lors de réunions de la PAH : on se concentre sur l’essentiel. Ce qui n’empêche pas un travail aussi discret qu’efficace sur le cadre, le rythme et la photo, en particulier lors de beaux plans d’appartements et de façades. Un adolescent de 16 ans raconte à l’assemblée comment l’allocation qu’il touche pour son handicap (et que l’État vient de réduire) est devenue l’unique ressource de sa famille. Une jeune femme peine à retenir ses larmes en confiant que ses parents vont sans doute perdre leur maison, pour l’avoir proposée en garantie lorsque leur fille a dû acheter un camion. Peu à peu, la violence proprement sidérante du système se déploie au travers de ces mots simples, racontant ces vies tranquilles soudain plongées dans une tempête que rien ne semble devoir apaiser. Ils et elles étaient pourtant convaincu(e)s de faire ce qu’il fallait, se sont efforcé(e)s de payer leurs dettes tant que cela était possible, n’ont pas compris quand les intérêts ont doublé, triplé sans crier gare. "Vous avez signé", leur dit le banquier. Dans un pays où le taux de chômage a atteint les 27%, autant dire que le cas n’est pas rare. Le film rappelle que "depuis le début de la crise, plus de 600 000 personnes ont été expulsées pour défaut de paiement". De toute cette souffrance, cependant, est née une forme de convivialité énergique, salutaire, entre ces "afectados" issus de milieux pourtant très différents. Prolos et patrons ruinés, sans-papiers et retraités, tous semblent habités par une rage de vivre et un sens de l’entraide qui imposent le respect. "Je ne serai plus jamais le même, dit l’un, je ne le souhaite même pas". "Qu’avez-vous appris ?", lui demande la cinéaste. "À être moins égoïste. Et aimer les gens davantage". Cette "common decency" chère à Orwell resplendit de ces dizaines de visages, tantôt souriants, tantôt douloureux. Et l’on se dit que le paradis n’est pas si loin puisqu’il parvient à se faire de petites places même au coeur de la tragédie. Bien au-delà du contexte espagnol et de la crise, le film de Sílvia Munt nous parle d’un possible que des millions de gens réalisent concrètement chaque jour : un monde d’alliés.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
