Synopsis
Morgan Neville, fort de son parcours de documentariste musical, nous livre ici un prodigieux travail, particulièrement bien articulé, ambitieux et attachant sur le travail musical du Silk Road Ensemble dont nous est retracée l’histoire avec vivacité. Le groupe est en effet né de l’envie de Yo-Yo Ma de réunir en l’an 2000 dans le Massachusetts plus de 50 musiciens issus d’une vingtaine de pays, tous longeant les anciennes routes du commerce de la soie, pour observer, assistés de musicologues, d’ethnologues et d’anthropologues, ce qui advient quand les traditions se rencontrent dans le cadre d’improvisations. Aujourd’hui, ce collectif multiculturel rassemble toujours les mêmes musiciens, tous toujours baignés par l’amitié, la beauté, la tendresse, la confiance et la résilience. Certains jouent d’instruments familiers tels que violoncelle, clarinette ou banjo, d’autres de bien plus méconnus comme l’oud arabe, le pipa chinois, le kamancheh persan ou la gaïta, une cornemuse de Galice. Ces instruments sont alors pour nous l’occasion de suivre le parcours de ceux qui en jouent. Un choix qui leur rend hommage, menacés qu’ils sont de voir leur culture disparaître ou être marginalisée. Tous exilés ou réduits au silence car issus de pays ayant subi des révolutions culturelles ou dont les régimes autoritaires jugent la musique - par essence brassage, espoir, éveil - menaçante. Ainsi nous suivons Kayhan Kalhor, virtuose du kamancheh persan, ayant fui à 17 ans l’Iran des mollahs en parcourant à pied des milliers de kilomètres pour trouver asile en Europe. Exilé, il l’est toujours, ce que chante la déchirante mélopée de son instrument. Wu Man, quant à elle, est l’une des meilleures joueuses d’un luth chinois appelé pipa. Vivant en Amérique, elle constate à chacun de ses retours dans son pays natal combien la musique traditionnelle se perd et, pour y remédier, s’attelle à documenter la musique folklorique chinoise. Nous suivons aussi Cristina Pato, figure de proue de la cornemuse de Galice, dont la folle énergie lui a valu le surnom de "Jimi Hendrix de la gaïta". Elle aussi lutte avec acharnement contre la disparition de sa culture et a fondé en Galice un festival pluridisciplinaire. Enfin, nous nous attachons aux pas de Kinan Azmeh, la dernière recrue de l’Ensemble, un clarinettiste syrien que la guerre a chassé de son pays et qui s’investit avec ardeur pour prodiguer à des enfants réfugiés syriens des cours de musique, porté par la seule idée que c’est dans les périodes les plus sombres que nous avons le plus besoin de beauté. Tous ces musiciens, au premier rang desquels Yo-Yo Ma le superbe, dont le père quitta la Chine en 1946 et écrivit beaucoup sur la façon dont "la musique chinoise peut sonner en utilisant des techniques françaises", disent l’élan vital que contient leur art et avec quelle vigueur il alimente leur conscience citoyenne. On sent à l’image le plaisir infini, sensuel, vibrant, qu’ils éprouvent, tous incontestables virtuoses, tous intensément vivants, tous si différents, à jouer ensemble, réunis par le rythme, la musique, l’amitié, l’humanité, la vitalité joyeuse, l’attention portée à l’autre, à son altérité, sa culture, son histoire et parfois à sa tragédie intime. Un pur bonheur.
© LES FICHES DU CINEMA 2016
