Synopsis
« Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre », a dit Winston Churchill. Cette phrase à la sagacité confondante s’applique tout autant au cinéma : combien croient aujourd’hui innover dans cet art dont les bases ont été fixées entre 1895 et 1905, selon cet édifiant Lumière !, qui reprend, avec un commentaire différent, Lumière ! Le cinématographe (1895-1905), coffret de deux DVD commentés par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier (2016). Tout amoureux du septième art, qu’il soit critique, spectateur ou professionnel, se devrait de le visionner, afin de découvrir le génie visionnaire des frères Lumière, « derniers des inventeurs, premiers des cinéastes », ainsi que celui de leurs chefs-opérateurs (Promio, Veyre, Felicetti, Freeway...) qui, technologie balbutiante oblige, devaient retenir de mémoire leurs cadrages, tous néanmoins plus réussis les uns que les autres. Enchaînant 108 des 1 422 films répertoriés et restaurés de ces inventeurs, d’une durée de 50 secondes (soit 17 mètres) et ici regroupés en onze chapitres, sur un commentaire pédagogique, passionné, drôle voire malicieux... délaissant les guerres picrocholines vouées à déterminer « qui inventa le cinéma, d’Edison ou des deux frères », Frémaux décortique le langage cinématographique né durant ces dix ans : travellings, plans, cadrages, distance... Si on doit à D.W. Griffith le premier gros plan, quelle surprise de « réaliser » que James Cameron reprit pour la scène d’introduction de son Titanic le plan de Felicetti filmant le paquebot Varese en 1899 ! Ou de voir Promio et Veyre filmer des fumeries d’opium ou des scènes de vie extrême-orientales qu’on croirait tirées du cinéma d’Ozu ou d’Akira Kurosawa... « Le cinéma c’est un sujet, un point de vue, un traitement », disaient les Lumière à leurs opérateurs, à qui ils ordonnaient par ailleurs de privilégier les extérieurs. Le résultat est un festival de scènes donnant à voir la beauté et les infinies nuances du noir et blanc, le sens des cadrages (jamais la ligne d’horizon ne doit se trouver au milieu de l’écran, ainsi que John Ford le rappellera à un Steven Spielberg débutant...) et du mouvement, la frontière ténue entre une séquence mise en scène de toutes pièces - et ayant des allures de réel - et telle autre, savamment préparée mais vouée à intégrer un imprévu, autrement dit, déjà !, entre la fiction et le documentaire. Mais, plus que tout, des premiers chapitres (évoquant les usines et l’intimité des Lumière) aux derniers, consacrés au cinéma de divertissement (que l’humour y soit voulu, comme dans L’Arroseur arrosé, ou involontaire, à l’image de ces exercices gymniques de chasseurs alpins), en passant par ceux consacrés à la France au travail ou à l’exposition universelle de 1900 à Paris... c’est la mémoire du monde qui défile devant nous, ce qui a fait dire à Tavernier que cette invention « a offert le monde au monde », faisant du cinéma bien plus qu’un simple divertissement. Bref, voici une déclaration d’amour tout aussi indispensable que le Voyage dans l’Histoire du cinéma français de Tavernier (2016).
© LES FICHES DU CINEMA 2017
