Synopsis
En 2014, l’exposition qui lui était consacrée à Paris nous avait permis de découvrir le peintre David Lynch. Réalisé à partir de vingt-cinq entretiens étalés sur trois ans, alors qu’il écrivait sa prochaine série TV, Twin Peaks : The Return, ce documentaire de Jon Nguyen, Rick Barnes et Olivia Neergaard-Holm laisse l’artiste dévoiler, alors même qu’il est en train de peindre (un peu à la façon dont Clouzot filma, en 1956, Picasso au travail dans Le Mystère Picasso), comment cette passion le mena au cinéma. En effet, outre qu’il est ici le seul à s’exprimer, qu’il soit assis à fumer ou qu’il peigne, Lynch est au centre du dispositif et c’est lui qui l’anime. La caméra le suit, respectueusement distante, le quittant pour de rares inserts sur l’extérieur, des photographies ou des films personnels. Dès lors, la voix révèle subtilement l’intimité de l’homme, qui traduit en gestes ce qui l’habite... Cheminement d’autant plus édifiant que les ombres et lumières tranchées sont à l’aune de son univers et que l’image accompagne - plutôt que d’illustrer - les propos de l’artiste. Ainsi, quand celui-ci évoque des spasmes intestinaux dus à un énième déménagement, le voit-on projeter sa peinture en larges couches... et donner lieu ainsi, semble-t-il, à une métaphore très « lynchienne » ! « Lorsqu’on crée quelque chose comme un tableau, beaucoup de choses viennent des idées et parfois le passé peut susciter ces idées », confie-t-il d’emblée. Fouiller dans son passé relève donc de la généalogie plutôt que du didactisme . À tel point qu’au fil de ses confidences, on se dit qu’il s’agit tout autant d’un documentaire de Lynch que sur lui. Avec roublardise, comme tout excellent conteur, il brouille les pistes entre le souvenir qu’il conserve de faits autobiographiques et leur traduction en acte créateur. Mais ne nous a-t-il pas prévenu, dès le titre du film : The Art Life, inspiré du livre The Art Spirit (Robert Henry), que lui avait remis Bushnell Keeler, le père de substitution qui l’initia à la peinture ? « Rien n’est plus rare que de vivre, la plupart des gens se contentent d’exister », a écrit Oscar Wilde, à qui Lynch, jeune homme, ressemblait étonnamment. Et il se trouve que Lynch, lui aussi, a décidé de vivre, en muant son vécu en visions : ainsi, ses fantasmagories sensuelles puisent-elles notamment dans la réminiscence de cette femme qui lui apparut nue, dans la nuit, alors qu’enfant il était assis dans la rue. Ainsi, son art emprunte-t-il aussi à l’influence et à l’amour de parents bienveillants, auxquels il rend un hommage touchant, et explique-t-il le lien entre, d’un côté, le créateur halluciné et solitaire, et de l’autre, le père conciliant et tranquille dont on perçoit l’amour qu’il porte à sa dernière fille, Lula. Le documentaire brosse ainsi le portrait d’un homme qui a décidé de faire de sa vie une oeuvre d’art - jusqu’à nous assurer que sa carrière de cinéaste est presque un accident de parcours, quand, tenu de gagner sa vie car marié et père d’une petite fille, il obtint une bourse de l’American Film Institute... laquelle allait donner lieu à Eraserhead (1977).
© LES FICHES DU CINEMA 2017
