Synopsis
Amateur éclairé ou béotien, le spectateur s’intéressera à L’Opéra, le film au titre ambitieux du documentariste suisse Jean-Stéphane Bron (L’Expérience Blocher, 2013). Alors que Nils Tavernier (Tout près des étoiles, 2000) ou Frederick Wiseman (La Danse, 2009) s’étaient focalisés sur le territoire de la danse à l’Opéra de Paris, Bron, lui, intègre aussi l’art lyrique. Il choisit de montrer non seulement la complexité du fonctionnement de l’entreprise-Opéra mais également, en amont des spectacles, le travail exigeant de ses différentes composantes. Dès la première séquence, on entre directement dans les coulisses du pouvoir, avec une réunion préparatoire, assez drôle, de la conférence de presse marquant l’ouverture de la saison 2015-2016, Bastille et Garnier confondus. Avec son équipe, Stéphane Lissner, l’actuel directeur, discute de la teneur de son discours inaugural et des contraintes protocolaires liées à la venue du président de la République, vidéo à l’appui. S’ensuivent de brèves saynètes illustrant le rythme trépidant de la maison : dîner officiel avec extraits dudit discours présentant Philippe Jordan, directeur de la Musique, et Benjamin Millepied, directeur de la Danse ; le corps de ballet sur scène qu’observe depuis les coulisses le même Millepied, chorégraphe-star ; l’audition musicale du jeune baryton-basse russe, Mikhail Timoshenko, ému d’être sélectionné. C’est ponctuellement par ses yeux que le spectateur découvre les coulisses de cette ruche institutionnelle. À la manière des opéras italiens véristes du XIXe siècle, tous les protagonistes, dans l’ombre ou dans la lumière, sont traités avec la même attention. Bron construit son film par tableaux successifs, alternant scène et coulisses. Le spectateur assiste ainsi aux répétitions variées des solistes ou du choeur de l’Opéra, avec ou sans l’orchestre, découvre l’importance de la régisseuse, du costumier, des repasseuses, lingères, perruquiers ou techniciens chargés des effets spéciaux. Séquence comique que le casting d’un taureau monstrueux pour Moïse et Aaron de Schönberg ! Tous concourent à la réussite des spectacles, même si Lissner, omniprésent à l’image jusqu’aux levers de rideau, doit réagir aux attentats du 13 novembre, affronter des préavis de grève, le désistement d’un artiste remplacé au pied levé, les revendications scéniques du Choeur, la démission programmée de Millepied ou une discussion autour du prix exorbitant des billets. Le réalisateur fait le lien en filmant à l’Opéra les émouvants « petits violons » d’une classe de CM2 située en ZEP, financée par le mécénat et non par l’État, et qui travaille un futur concert auquel assisteront les familles. Porté par la musique et par l’énergie de personnages foisonnants, réalisé avec énormément de style, dans un langage beaucoup plus proche de celui du cinéma de fiction que de celui du reportage, le film de Bron finit presque par devenir lui-même un opéra, avec ce que cela implique de souffle et de lyrisme.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
