Synopsis
« Mère, tu marchais avec moi alors, dans le silence. Avant qu’il y ait un monde... » La belle voix grave et sensuelle de Cate Blanchett accompagne des plans d’étoiles et de ciels, des volutes et des courbes, des sensations de cosmos inédit, inconnu ou enfoui loin dans nos mémoires sensorielles. Mais soudain arrivent des personnages d’aujourd’hui : un SDF, une vieille femme, des réfugiés sous une tente... « Mère, où es-tu ? Ne suis-je pas ton enfant ? » Lave pourpre en fusion, synapses bleutées, cellules opaques, roches ocres, éclairs d’orage, globules rouges, têtards noirs... Tout un univers organique et minéral se succède et se mêle aux éléments, terre, eau, feu. Dans des fonds sous-marins, la vie apparaît, oursins, algues, méduses, anémones de mer, poulpes... « Nature, qui suis-je pour toi ? » Spectateurs conquis par des images sublimes, baignées d’une musique symphonique, nous sommes aussi troublés par l’incursion des fameux personnages contemporains : enfants vêtus de costumes folkloriques, couple lors d’un mariage, fermière et ses cochons... Malgré des qualités hypnotiques certaines, ce télescopage abscons désarçonne et la voix off incantatoire commence à peser de son discours simpliste... « La multitude change et passe, toi tu restes... » Admettons. Voilà les reptiles et les poissons... C’est Connaissance du monde, sans la connaissance. Le réalisateur prenant un malin plaisir à nous chahuter et nous perdre. Mais notre plaisir à nous s’émousse gravement. S’il s’agit d’un opéra, il faudrait pouvoir se laisser porter, emporter et bercer, sans questions. Or on se demande bien ce que Malick veut nous dire, au-delà de « l’homme est un loup pour l’homme et un danger pour la nature » . Quand les dinosaures apparaissent, que la voix demande : « Suis-je née de l’amour ? », une sensation rappelant celle ressentie devant la partie « dinosaures et Big Bang » de Tree of Life s’impose. Ceux qui y ont trouvé merveille devraient adhérer à Voyage of Time, mais ceux qui ressentaient là la faiblesse du film récipiendaire de la Palme d’or, non. Que Terrence Malick, remarquable réalisateur de La Balade sauvage et des Moissons du ciel soit un passionné de nature, un féru de création du monde, et un citoyen concerné par l’avenir de la planète, est un fait acquis ; qu’il se soit allié, pour ce projet, les services de grands scientifiques afin d’approcher en prises de vues, images de synthèse et effets spéciaux impeccables le mystère de la vie passée, présente et future, est plutôt emballant. Mais qu’il en tire ce magma (dont une version plus courte, avec la voix de Brad Pitt, est réservée aux salles IMAX) finit par décevoir. Et les hommes préhistoriques découvrant le feu, la violence et le sang n’arrangent rien. À la question : « Mère, qu’est-ce que j’aime quand je t’aime toi ? », on demeure sans voix. Restent des moments uniques, aurores boréales, nuages cotonneux et taches luminescentes déclenchant une liesse momentanée, s’apparentant à un feu d’artifice. Oh la belle bleue ! Oh la belle verte ! Mais le fil du film, fût-il « de la vie », se distend et se rompt trop souvent, hélas.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
