Synopsis
Histoires de la plaine s’adosse à un constat avéré et vérifiable : dans la pampa argentine, ce « vertige à l’horizontale » dont parlait Roger Caillois, s’égaillaient autrefois d’innombrables troupeaux bovins, lesquels donnaient, sur les papilles des gourmets, la meilleure viande qui soit. Ils ont aujourd’hui quasiment disparu des prairies pour se retrouver concentrés dans des fermes d’engraissement intensif. Et dans cette plaine considérée jusqu’à présent comme l’une des plus fertiles du monde, il en va de même des cultures du blé, du tournesol, de l’orge, de l’avoine... Jusqu’au maïs qui n’a pas mieux tenu le coup face à l’expansion du soja transgénique, expansion consécutive aux différentes crises monétaires qu’a connues l’Argentine comme à sa montée en puissance sur les marchés de l’agronomie mondialisée. En ultime pied de nez, ce même soja alimente désormais l’industrie de la viande. Organiser une culture intensive revient bien entendu à intensifier l’épandage de pesticides de manière totalement irresponsable, à multiplier les risques d’accidents. À l’image de ce camion-citerne dont les 18 000 litres de pesticide pur se sont répandus sur une centaine de mètres pour imprégner, sans doute irrémédiablement, les nappes phréatiques. Et tragiquement, si l’on veut bien garder à l’esprit que, pour être utilisé « normalement », un demi-litre de ce poison doit être dilué dans 150 litres d’eau, que le contenu du camion permettait de traiter 50 000 hectares. Il en résulte une succession de catastrophes, sanitaire - prolifération des cancers, malformations à la naissance des hommes et des bêtes - et écologique il va sans dire. Voire culturelle, à en juger par l’exode rural qui s’en est suivi. Il ne faut pas s’y tromper cependant, Christine Seghezzi ne cherche à en faire la preuve, ce n’est pas le propos. Tourné à Hansen, village dépeuplé de la région de San José, le film prend le temps, et le parti, d’écouter les quelques habitants qui y vivent encore - un ouvrier agricole, l’épicier, l’institutrice... - avant qu’ils ne finissent peut-être par rendre les armes à leur tour. Chacun à leur manière, tous témoignent de ce non lieu mortifère qu’est devenu leur hameau. Aussi poignants que soient leurs propos cependant, et leur regard face caméra où se lit parfois un immense désarroi, ce n’est pas ce qui fait la très grande qualité du film. Elle provient - si ce n’est de la majesté des cadres, du montage, de son tempo - de quatre récits dits en voix off par la réalisatrice, récits qui plongent dans le passé de l’Argentine, de ses fondations à nos jours, de la présence des Indiens à l’arrivée des migrants, de l’existence, sinon malheureuse, solitaire, de son grand-oncle, aux victimes de la dictature. Ainsi nous entrons, comme par effraction, dans un western (au sens littéral), un monde de nature sauvage et de violence, dont les épreuves que traversent les habitants d’Hansen semblent n’être au fond que le prolongement, l’onde de choc en quelque sorte. Venu le moment de sortir en revanche, nous quittons un documentaire sensible et beau consacré à la disparition d’un monde, ou du monde tel que nous l’avons connu, et chéri parfois.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
Réalisateur