Synopsis
Comment parler de nos ancêtres, auxquels nous nous sentons intimement liés sans les avoir jamais connus ? Comment rendre hommage à leur mémoire ? C’est ce que tente d’accomplir Robert Bober en consacrant ce documentaire à son arrière-grand-père, Wolf Leib Frankel, lequel passa cinquante années de sa vie dans un village polonais, Przemysl, et tenta ensuite sa chance à New York en 1904 - tentative qui échoua puisqu’il fut refoulé aux contrôles d’Ellis Island. Du Nouveau Monde, il n’aura aperçu que les tours de Manhattan emmitouflées dans la brume. Puis, au lieu de retourner dans son village natal, il s’était installé à Vienne, ville cosmopolite et hospitalière. Tout cela nous est narré par la voix pondérée de Bober, tandis que l’on observe le paysage - que la neige recouvre d’un beau manteau blanc - défiler à travers la fenêtre du train qui nous conduit à Vienne, comme si, effectivement, nous étions du voyage. Le film, qui s’apparente à un essai biographique autant qu’historique, se nourrit d’un corpus varié (photographies et films d’archives, peintures, dessins...), mais son hétérogénéité est unifiée par le monologue évoqué plus haut. Parfois, le rythme pourra sembler précipité, tant on a envie de ruminer ses paroles, belles et percutantes. Mais par bonheur des moments de répit nous permettent de reprendre le train en marche, comme lorsque la caméra nous fait visiter la Vienne d’aujourd’hui à bord d’une calèche. Pour autant, le documentaire ne se borne pas à l’ambition d’une évocation contemporaine et ménage quelques sauts dans le passé - notamment en donnant à voir un film des frères Lumière tourné sur le Ring, le principal boulevard contournant le centre-ville historique de la ville. Il s’agit donc bel et bien d’une balade dans l’espace et le temps, ainsi que semblait nous l’annoncer, placé en ouverture, un extrait de La Ronde de Max Ophüls - dans lequel nous passons d’une scène de théâtre à un studio, puis à une rue viennoise en 1900, et entendons ces mots du narrateur : « J’adore le passé. C’est tellement plus reposant que le présent ! Et tellement plus sûr que l’avenir... » Nous aussi, nous passons du passé au présent - et inversement -, l’ensemble constituant une édification de la mémoire puisque, au-delà du portrait de Wolf Leib Frankel, il s’agit de faire celui d’une ville avant l’Anschluss (1938), dont le multiculturalisme fut tragiquement entamé par un antisémitisme assumé. Assumé car, comme le rappelle Robert Bober, l’antisémitisme autrichien y était d’ores et déjà bien implanté ; d’ailleurs, le maire de la ville de 1897 à 1910, Karl Lueger, dont l’antisémitisme inspira Hitler, est toujours l’effigie d’un monument sur une place qui porte également son nom... Tout cela conduit Bober à citer des écrivains autrichiens - la plupart exilés et suicidés -, Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler ou encore Thomas Berhardt, dont la lecture lui offre le sentiment de s’imprégner des lieux mais aussi de l’époque foulés par ces hommes devenus des fantômes - tel cet arrière-grand-père dont, sans ce film, la trace aurait été perdue.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
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