Synopsis
D’elle, on ne verra tout d’abord que les mains, on n’entendra que sa voix grave expliquer : « Comme un architecte dessine un plan, je dessine un patron ». Elle, c’est Mika’ela Fisher, l’une des dernières maîtres tailleurs formée à l’ancienne, en Allemagne puis en Italie. Pour témoigner de son art qui disparaît, elle s’est donc filmée pendant les centaines d’heures que demande la réalisation d’un costume sur mesure. Ce costume trois-pièces - une veste, un pantalon, une jupe - elle le fait pour elle. C’est d’ailleurs peut-être le dernier qu’elle fabrique ainsi car il est de plus en plus difficile de trouver les matériaux et les outils qu’exige cette technique. La caméra capte en surplomb ces mains au travail, tout d’abord la découpe du patron en papier puis le travail du tissu, le fil blanc temporaire qui s’insère dans la matière, le fer qui assouplit, les ciseaux qui coupent, affinent. Entre deux prises de vue serrées, apparaît une silhouette floue, vêtue d’un costume bleu ciel, sous les arcades de la Comédie-Française, dans les rues au soleil d’hiver. Petit à petit, émerge un brouillon de veste, puis très vite la silhouette se précise, le tailleur impeccablement structuré. On assiste aussi aux essayages. Mika’ela y est secondée par Renato Bianchi, maître d’essayage au Français, avec qui elle collabore de longue date. Il l’a découverte en passant devant la boutique qu’elle avait rue des Victoires, à Paris. Il n’avait jamais vu des costumes « structurés comme ça ». Cet homme de l’art insiste sur le travail de la toile exceptionnel effectué par Fisher : « L’art du tailleur, c’est l’art de mettre en forme un tissu ». En observant les gestes quasi immémoriaux de l’artisan à l’oeuvre, on saisit la portée de cette parole. Après un second essayage, la maître tailleur n’hésite pas à découdre les multiples pièces de tissu imbriquées pour tout recoudre au millimètre près. L’exercice recèle une complexité et un mystère qui relève plus de l’alchimie que de la simple couture. Ce documentaire à la fois intime et distancié nous apparaît comme un étrange objet, on imagine un spectateur du futur le découvrant comme le fossile d’une époque révolue, celle du fait main. Fisher, qui est aussi scénariste et productrice du doc, filme comme elle coud : elle montre l’envers du façonnage - les fils, les plis, les revers du costume à naître -, comme les coulisses du tournage : les coups de téléphone aux intervenants, le making of des shootings photos, des échanges avec Bianchi. Si on ne doute pas de la sincérité de Mika’ela Fisher dans cette démarche pour « briser sa solitude de maître tailleur », on ne peut que constater une certaine froideur, alors que le film est censé évoquer une « passion ». On aurait aimé en savoir plus sur cette personnalité multiforme qui est aussi mannequin et actrice. Les cinéphiles avertis auront d’ailleurs reconnu derrière sa silhouette androgyne la tueuse glaçante et charismatique de Ne le dis à personne de Guillaume Canet. Pour découvrir l’étrangeté de l’univers de l’Allemande, il faudra se tourner vers ses précédents courts métrages : Les Mains courageuses dans le chaos du temps, déjà sur un tailleur, et Männin, essai sur l’androgynie.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
