Synopsis
Critique, historien du cinéma et incontournable spécialiste du cinéma américain des années 1960 et 1970, Jean-Baptiste Thoret passe ici à la réalisation de son premier film de cinéma. Le projet est alléchant : dresser un état des lieux de la contre-culture américaine des sixties, afin de voir, quarante ans après, ce qu’il en reste, et surtout, ce qui a fait que ceux qui ont participé à ce renouveau solaire se retrouvent à présent broyés par leurs utopies passées, confits dans leur conservatisme. Comment la génération du flower power s’est retrouvée à voter pour Donald Trump, en somme. Thoret, pour ce faire, décide, en hommage aux road movies des seventies, de prendre la route et de traverser d’Est en Ouest l’Amérique, à la recherche des témoins d’une époque bien révolue, mais toujours présente dans l’imaginaire. Jamais cynique ni moralisateur, We Blew It est filmé à travers le regard humble et fasciné d’un homme qui semble réaliser trois rêves à la fois. D’abord, interviewer des sommités, dans une sorte de palimpseste cinéphile où la parole de Peter Bogdanovich va recouvrir celle de Michael Mann, puis de Tobe Hooper, et ainsi de suite. Ensuite, parcourir de long en large les mégalopoles bondées, les déserts arides, les villes fantômes, c’est-à-dire investir pleinement l’imaginaire américain pour faire resurgir les fantômes du passé. Et enfin témoigner de tout cela sous la forme d’un long métrage en cinémascope, projeté sur grand écran, autrement dit passer de la théorie à la pratique. Incontestablement, le matériau recueilli est dense. Le contenu du film (les différentes séquences et interventions qui le composent), est d’un intérêt indéniable. En revanche la manière dont le documentaire est construit, son mode de narration en somme, pose davantage question. Au départ le film semble raconter une histoire, puis il prend un chemin beaucoup plus transversal et sinueux. On peine dès lors à bien percevoir la logique qui le structure, la pensée qui conditionne les étapes du voyage. On s’interroge par exemple sur le fait que les « grands témoins » soient tous des cinéastes alors que dans la partie « portrait de l’Amérique contemporaine » il n’est plus du tout question de cinéma. On peut aussi ne pas trouver évidente la connexion entre une forme qui a l’air d’observer le présent et un propos qui est à l’évidence de raconter le passé. Rapidement, il semble clair que ce qui fait le lien entre tout cela, ce qui donne sa cohérence à l’ensemble, c’est Thoret lui-même, avec ses goûts, sa pensée, ses interrogations, son parcours, sa façon de regarder le monde à travers le cinéma. Dès lors, on peut trouver regrettable qu’il se soit mis totalement en retrait, en n’intervenant ni à l’image ni par le biais d’une voix off. Car on aurait besoin de le suivre, comme on a besoin de suivre un personnage principal pour entrer dans les errances d’un road movie. En s’excluant de son film, par excès de modestie ou par volonté d’endosser totalement son rôle cinéaste en marquant une nette rupture avec son rôle de critique de cinéma, Thoret donne un vernis un peu théorique et froid à un sujet qui, parce qu’il est passionnant, se prêtait totalement à une approche passionnée.
© LES FICHES DU CINEMA 2017