Synopsis
Douze : c’est le nombre de jours à l’issue desquels, en vertu de la loi du 27 septembre 2013, les psychiatres ayant prescrit l’hospitalisation d’un individu sous contrainte à la demande d’un tiers doivent soumettre leur décision à un juge des libertés et de la détention. Pour ces audiences, magistrats, greffiers et avocats se déplacent dans les établissements, constituant des sortes de tribunaux « forains ». Ancien reporter de guerre, photographe et cinéaste, Raymond Depardon, depuis longtemps travaillé par le thème de l’enfermement, a pu exceptionnellement, grâce à une psychiatre lyonnaise et à une magistrate parisienne, filmer ces entretiens au Vinatier, l’hôpital psychiatrique de Bron, aux portes de Lyon. Selon un dispositif simple et équitable, le cinéaste utilise trois caméras : une filmant l’interné, une deuxième le magistrat et une dernière captant en plan large les autres participants - avocat, greffier, tuteur éventuel, infirmier. Médecins et tiers demandeurs qui pourraient obérer la libre parole des malades sont absents. Se succèdent ainsi dix entretiens poignants durant lesquels les malades, internés sans leur consentement, tentent de plaider leur cause face à des magistrats à l’écoute. Au détour de discours plus ou moins articulés et construits, se découvrent l’étendue de leur souffrance et, pour certains, la gravité de leur cas et leur violence. Untel s’obstine à demander que l’on rassure son père... qu’il a tué dix ans plus tôt. Une jeune femme, jugée inapte à élever son enfant de 2 ans, dit son désarroi. À 37 ans, une autre, à la douleur compacte, n’a, depuis des années, qu’une idée en tête : se suicider. Un homme, persuadé d’être maintenant capable de sortir, répond, au magistrat évoquant son agression sans raison d’une passante au couteau, qu’ »il allait mal » alors. Une dame entre deux âges, victime d’une brutale crise sur son lieu de travail, choisit in fine la sécurité du Vinatier. Au cours de ces face-à-face, les quatre magistrats, deux hommes et deux femmes, font preuve d’une attention, d’une humanité et d’une pédagogie sans faille. Tous confirment le maintien à l’hôpital. Si, au vu des dix cas retenus par Depardon - sur 72 engrangés - leurs verdicts semblent raisonnables, on ne peut s’empêcher de s’étonner que le cinéaste n’ait assisté à aucun internement abusif. Sans doute sont-ils à présent très rares et faut-il s’en réjouir. Comme dans ses précédents documentaires consacrés au monde judiciaire et psychiatrique, Depardon s’efface pour scruter, avec une impartiale bienveillance, les protagonistes en champ - contrechamp. Il est l’oeil et l’oreille du spectateur, laissant à l’intelligence et à la sensibilité de celui-ci, toute latitude de se forger une opinion. De ces dix audiences assez brèves, où quelques éclats d’humour se faufilent, ressort une vertigineuse douleur, magistralement saisie, qui renvoie chacun de nous à ses propres fractures. Telles des suspensions entre l’intensité des audiences, la caméra parcourt en glissando les couloirs déserts, les courettes grillagées et le parc embrumé de l’hôpital, peuplés de quelques silhouettes errantes. Respirations nécessaires ou superfétatoires distractions ? C’est selon.
© LES FICHES DU CINEMA 2017