Synopsis
« On n’enseigne jamais à devenir un être humain », s’insurge Edgar Morin. Après Edgar Morin, chronique d’un regard d’Olivier Bohler et Céline Gailleurd (2015), voici un nouveau documentaire sur ce sociologue et philosophe, ex-libertaire et ex-communiste, qui, avec Paul Ricoeur, est une des références incontournables en matière d’éducation à la vie et à l’éthique. L’originalité première du film est de recouper la pertinence de sa pensée humaniste en « immersion » via cinq établissements publics : le lycée d’excellence Edgar-Morin de Douai, le micro lycée de Vitry-sur-Seine, le Pôle innovant de Paris, le Lycée autogéré de Paris (LAP) et l’école Decroly de Saint-Mandé. Il n’est pas innocent que le titre soit Enseignez à vivre ! et non « Enseignez la vie ! ». En effet, sur le principe voulant que « faire, c’est se faire », il alterne sans emphase ni figures de styles inutiles, reportages, surtout d’élèves et d’enseignants, et images d’archives ciblées (sur Nuit Debout et sur l’occupation de l’église Saint-Bernard en 1996), pour nous démontrer en actes que l’on peut construire un citoyen à travers l’ouverture à l’autre et le décloisonnement des « savoirs qui aveuglent au lieu d’élucider ». « L’homme est un être de désir », rappelle un professeur de philosophie en appui d’Edgar Morin (qui parle en tout moins de dix minutes), évoquant l’Eros si cher à Platon puis convoquant Descartes, Montesquieu, Rousseau, Héraclite. Respect, but à se fixer, responsabilité, estime de soi, volonté d‘apprendre et d’écouter sont quelques-unes des valeurs émergeant de la « pensée complexe », bannière du philosophe. Pour y parvenir, on chante, on dessine, on travaille avec ses mains autant qu’avec sa tête, on gère, on fait le ménage, on échange, on confronte. Bref, on associe le prosaïque du devoir à la poétique qui ouvre l’âme. Et surtout, on vit dans le plaisir. Parmi les moments confondants, on savoure les échanges autour de la motivation nécessaire pour réussir, du choix entre interdire ou pas le portable en classe par respect pour l’enseignant, de la rédaction du règlement intérieur, d’un projet de société idéale, ou encore celui qui voit l’habitude de laisser la porte de la classe ouverte déboucher symboliquement sur un concept : « ouvrir, c’est s’ouvrir à l’autre ». Dans cet univers voué à remettre en selle les élèves déscolarisés, sous réserve qu’ils soient volontaires, on s’enthousiasme devant l’un d’eux, devenu optimiste sur son avenir, ainsi que devant cette jeune ado résolue à s’engager dans l’humanitaire car « le bien qu’on fera à la planète engendrera le bien dans les autres sphères économiques et sociales ». Et quand des étreintes mises en scène dans un atelier théâtre muent Eros en Agape, on se dit qu’après les formidables Swagger, À voix haute et autre La Philo vagabonde, tout n’est pas perdu pour l’humanité dès lors que la passion et la tolérance priment sur la compétition et la performance. Une conversion du regard régénérante. Utopique ? Peut-être. À moins que ce ne soit l’une des raisons pour lesquelles Pandore a cru bon de nous laisser l’espérance, cette sublime vertu qui irrigue de bout en bout le message de ce film bienfaisant, qui raisonne et résonne.
© LES FICHES DU CINEMA 2017
Réalisateur