Synopsis
Trois raisons majeures de voir en salle ce documentaire, proche cousin de Spartacus et Cassandra de Ioanis Nuguet (2015) et pareillement soutenu par l’ACID : 1. il développe une véritable écriture cinématographique, à la fois immersive et en progression ; 2. sa dramaturgie, tout en tension et rebondissements, autour du mariage de Belinda, vaut bien des fictions ; 3. ce qu’il "dit" touche au coeur. En 2000, lors du tournage de Tu n’es pas un ange, Marie Dumora croise Belinda (9 ans) et Sabrina (10 ans), deux soeurs yéniches, ethnie proche des Manouches, moins connue que celle-ci mais tout aussi persécutée (la séquence où, devant une vieille photo, le père raconte comment lui et leur mère se sont connus, adolescents, dans le camp de concentration alsacien du Struthof, est à cet égard l’une des plus poignantes de ce film social, sociétal et romanesque). Depuis cette rencontre, donc, six documentaires sont nés, scrutant l’évolution des deux soeurs et de leurs proches. Ce septième chapitre s’attache au lien amoureux unissant Thierry à Belinda. Entre un judicieux flash-back introductif, qui contextualise la situation des deux soeurs, et un deuxième, conçu comme une réminiscence nostalgique, la réalisatrice filme, avec une discrétion exemplaire, le combat de Belinda pour mener à bien son mariage. Cette lutte héroïque entre une jeune femme qui veut s’en sortir face au destin qui pèse de tout son poids, sous l’oeil (plus exactement la voix) de Sirius du directeur de la Maison d’enfants à caractère social La Nichée d’Algosheim, que tous aiment profondément - car il a élevé les deux fillettes -, relève bel et bien de la tragédie grecque. Certes, le stress et une alimentation "de pauvres", à base de graisse et de sucreries, ont épaissi le physique de Belinda, et les cigarettes ont abîmé ses dents. Mais son amour (au sens d’"agapê" pour les autres, sa soeur bien sûr, mais aussi un père et un fiancé de bonne volonté mais totalement largué face au réel, reste bouleversant de beauté inentamée. La scène du formulaire de mariage est à ce titre un douloureux moment de tragi-comédie. Et celle où Sabrina baptise son enfant Nicolas, né alors qu’elle avait 15 ans et découvert dans Je voudrais aimer personne (2007), une réelle tranche de sociologie. Si bien que, sorti du film, on revisite l’étymologie du mot "innocence" tant il colle à l’âme de ces deux soeurs, par-delà les aléas judiciaires (dont on perçoit ce qu’ils doivent à l’ironie du sort). Il est du reste dommage que la réalisatrice n’ait pas cru bon de nous donner quelques indices sur leurs conditions et moyens de subsistance. Ne serait-ce qu’en contrepoint de la foi sincère qui les anime et leur permet de rester dignes malgré tout. Mais qu’importe. Quand, dans le final (y compris au sens musical), monte la voix d’Adamo chantant Et tombe la neige, tandis que l’oeil de la caméra, substitut de la fatalité, opère un fondu au noir sur Belinda nageant dans l’Ill ou la Dollner, on remercie Pandora d’avoir refermé le couvercle de son amphore sur l’espérance pour nous la transmettre. Et on espère un prochain opus qui aura donné raison à la force d’âme et d’amour de Belinda.
© LES FICHES DU CINEMA 2018
