Synopsis
Professeur, écrivain, député altermondialiste, membre de l’Internationale socialiste, collaborateur de Kofi Annan et sociologue, Jean Ziegler naît en 1934 à Thoune dans le canton suisse de Berne. Issu d’une famille chrétienne aisée qui lui inculque les valeurs du mérite et du travail, il prend conscience de l’injustice au contact des orphelins trimant dans les fermes alentour. Il rejoint les communistes à Paris, publie dans la revue Les Temps modernes fondée par Sartre, est missionné au Congo par les Nations Unies (La Contre-révolution en Afrique, son premier livre en 1963) et soutient divers mouvements révolutionnaires: Cuba, Nicaragua, Chili ou Burkina (images d’archives et photos). C’est par ces jalons biographiques que Nicolas Wadimoff, en voix off, introduit son documentaire sur celui qui fut son professeur à Genève. Réalisateur notamment de Aisheen, chroniques de Gaza (2010), Capitaine Thomas Sankara et Opération Libertad (2012), Spartiates (2014), le cinéaste dresse un portrait malicieux de Jean Ziegler qui, en dialecticien et rhétoricien redoutable de 83 ans, prend plaisir à jouer de son image devant une caméra qu’il ne perd jamais de vue. Infatigable pourfendeur de "la dictature mondiale aux mains des oligarchies capitalo-financières", "ces mercenaires des multinationales" planqués dans les paradis fiscaux qui affament les pays pauvres à coups de "fonds vautours", l’auteur de Une Suisse au-dessus de tout soupçon s’enflamme en évoquant le conseil vital que lui donna en 1964 à Genève Che Guevara, sa "conscience politique" : rester en Suisse pour lutter contre "le cerveau du monstre capitaliste". Avec délectation, Ziegler se laisse filmer dans son bureau, commente ses photos du Che, d’Allende et de Thomas Sankara avant leurs assassinats, celle de Pablo Neruda qu’il cite avec emphase ou la carte de la faim dans le monde, parlant de l’"utilité sociale" de ses 16 livres. La mise en scène de ce personnage hors-norme, alternant conversations, interviews, images d’archives de ses interventions au Conseil des droits de l’homme de l’ONU eut été complaisant si Nicolas Wadimoff, l’accompagnant à Cuba, n’avait pas su le mettre face à ses contradictions. Le film prend alors des allures de confrontation parfois comique entre la pensée de Ziegler et la réalité cubaine, cette nation "matrice des forces anticapitalistes". À La Havane avec sa femme Erica Deuber Ziegler, sa muse, le sociologue s’extasie sur l’absence d’éclairage et de trafic urbains quand Erica n’y voit que pénurie. La presse muselée ? "On s’en fout !". L’absence de multipartisme ? Un poison qui affaiblit la révolution. Hospitalisé pour un malaise, il salue la qualité de la médecine cubaine et admire l’infirmière en partance pour Bahreïn pendant treize ans sans sa famille... Mais le Ziegler qui se recueille sur les cendres du Che reconnaît aussi ses erreurs : avoir sous-estimé le danger de la cynique organisation de la Conférence Islamique, et avoir accepté les invitations de Kadhafi. Que l’on soit détracteur ou non de Jean Ziegler, le film a le mérite de prendre la mesure de son combat et de son intégrité, vainqueur ou perdant face au "monstre".
© LES FICHES DU CINEMA 2018
