Synopsis
"Je suis heureuse et triste à la fois", confie Chila. C’est aussi ce qui définit ce magnifique premier film de Catalina Mesa, réalisé en hommage à sa grand-tante Ruth. Plus qu’à des tranches de vies, c’est à une bienfaisante déclaration d’amour à l’"insoutenable légèreté de l’être" que la réalisatrice nous convie, logiquement initiée par un poème d’Olivia Sossa sur fond de ciel azuréen. Comme un paradis oublié, fondé en 1851 dans une vallée sous la haute protection d’un Christ rédempteur érigé sur le Corcovado local, Jerico doit son nom à son multiculturalisme, ainsi que son surnom d’Athènes du Sud-ouest d’Antioquia. En effet, ici, Dieu imprègne chaque mot, chaque pensée, chaque geste... tout autant que de jubilatoires réparties frisant le paganisme y sont propres à effrayer tout intégriste. Grâce en soit rendue à ces femmes et à leur fort caractère : Chila, intarissable sur ses amours... Fabiola qui se dispute avec les saints tout en les nettoyant ("Ils se disent que je suis folle, mais ils obéissent, ces fous") et qui aurait voulu naître dans une cafetière, tant elle aime le café... Luz qui, "trop foncée", ne put, jeune, épouser son gringo, lequel en devint prêtre (savoureuse anecdote)... Ana Luisa, veuve à la tête de neuf enfants après le décès accidentel de son mari en 1965 et qui trouva sa résilience en devenant institutrice au sein de l’institut catholique ("L’héritage, on le laisse dans la tête, pas dans la poche")... Elvira qui apprit l’anglais, stimulée par un petit garçon pauvre le pratiquant, et qui partit visiter le monde ("Les voyages sont les meilleures études qui soient"). Ou encore Celina, caressant avec amour et reconnaissance sa vache laitière Mafiosa (car elle appartenait à un mafioso) avant de pleurer en évoquant son fils dont elle est sans nouvelles depuis que la guérilla l’a enlevé voici 20 ans. On aimerait toutes les citer tant l’esprit qui les anime allie naturellement foi et pragmatisme pur (Chila veillant tout autant à son magasin de chaussures qu’à sa collection de rosaires), sacré (prier) et plaisir sensuel (aimer, boire et manger), tristesse du deuil et coquetterie qui défie l’âge. Nec plus ultra, à l’image du patchwork que coud Fabiola, métaphore de toutes ces vies entremêlées, les couleurs éclaboussent de lumière ce bonheur visuel et sonore, même quand le ciel se fait orageux. Et avec ses portes et fenêtres multicolores dessinant autant de figures géométriques, Jérico ressemble à un tableau de Mondrian. On en regretterait presque que les chansons traditionnelles émaillant ce voyage ne soient pas toutes sous-titrées à l’instar des dernières, tant elles épousent avec pertinence le sens induit par le fil lumineux et chaleureux de ce documentaire dont on comprend qu’il séduise les festivals. Mais qu’importe ! Quand, à la fin, la nostalgie appert, quand la mort s’annonce et quand la jeune Laura lâche son cerf-volant (retour au ciel du début), on se dit, avec Elvira qui, à 102 ans, se prépare à s’envoler elle aussi : "Tant qu’on a la santé, même à 80 ans, on peut crier vive la jeunesse !". Une heure vingt d’authenticité humaine à consommer sans modération.
© LES FICHES DU CINEMA 2018
