Synopsis
Un jour, on demanda au réalisateur suédois Ingmar Bergman de dresser la liste de ses films préférés. Les Années de plomb, un film de la réalisatrice allemande Margarethe von Trotta, en faisait partie. Celle-ci est aussi une admiratrice de l’oeuvre de Bergman : elle peut décrire plan par plan l’ouverture du Septième sceau, dont la découverte fut pour elle une épiphanie esthétique. C’est ce qui motive la production de ce documentaire, incarné à l’image par von Trotta. Il s’agit pour elle, au gré des rencontres avec ses actrices, sa famille, des collaborateurs, des admirateurs, des exégètes, d’approcher l’homme comme le réalisateur, le père comme l’amant. Les thématiques varient ; ses méthodes de travail, sa vie amoureuse, son héritage, sont évoqués par Olivier Assayas, Jean-Claude Carrière, le fils du réalisateur, son biographe et bien d’autres. Il se confirme donc que Bergman était un artiste génial et un homme impossible. Pour le volet biographique, le film s’intéresse surtout à la dernière partie de sa vie, celle-ci étant nourrie par une abondante documentation montrant le réalisateur au travail, ou lors d’entretiens. Au milieu des années 1970, les démêlés avec l’administration fiscale de son pays et sa brève incarcération le poussent à l’exil, à s’installer et travailler en Allemagne. Il approfondit son exploration de la mise en scène théâtrale à Munich. Il ne retournera en Suède que pour le tournage de Fanny et Alexandre, première oeuvre testamentaire de Bergman - il y en aura d’autres qui seront perçues comme telles jusqu’à Sarabande en 2003. Il semble évident que le projet du film de von Trotta est de partir à la recherche de toutes les facettes qui constituent l’entité Bergman, comme si Bergman n’était pas déjà tout entier dans ses films. Il y a la facette cinéphile, avec les analyses pénétrantes de son oeuvre par Carrière et Assayas, mais celle-ci fait jeu égal avec la facette privée. Ainsi, témoignages de ses enfants à l’appui, Bergman sera décrit comme un père absent, à la filiation pléthorique et dispersée. À force de ne pas vraiment choisir entre différentes modalités d’approche de son sujet, la cinéaste donne parfois l’impression de mêler le trivial au profond, l’anecdotique à l’essentiel. C’est effectivement la base d’une démarche impressionniste, subjective, puisque le fil rouge du film est déroulé par von Trotta elle-même, toujours présente à l’image. Seulement, lorsqu’il s’agit d’une figure aussi imposante, complexe et paradoxale que l’habitant de Fârö, il est bien difficile de le "faire entrer" dans un 90 minutes sans donner l’impression du rapide survol, de la brève esquisse aux pistes narratives à peine ébauchées. Mais si l’exercice peut être frustrant pour l’amateur éclairé du cinéaste, il s’avère une porte d’entrée plutôt intéressante pour les jeunes générations. En effet, s’y trouvent suffisamment d’invitations à poursuivre l’exploration de cet univers unique, ébauchée ici, pour reconnaître que ce projet, parfois complaisant, souvent narcissique, atteint son objectif.
© LES FICHES DU CINEMA 2018