Synopsis
En janvier 2016, Nicolas Philibert est hospitalisé pour une embolie. Sa découverte des services d’urgences et des soins intensifs marque la genèse de De chaque instant. Après avoir suivi des sourds profonds dans Le Pays des sourds (1993) ou intégré une école à classe unique en milieu rural dans Être et avoir (2002), cette fois le réalisateur pose sa caméra dans l’Institut de Formation en Soins Infirmiers de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil. Dans la première partie - intitulée "Que saisir sinon qui s’échappe ?" -, le spectateur suit les premiers instants d’une promotion d’apprentis infirmiers. De l’attribution des uniformes aux cours sur les consignes d’hygiène, sans oublier les premières manipulations, Philibert ne manque pas de saisir les instants névralgiques et les méthodes pédagogiques de la formation. Non sans une bonne dose d’humour, le résultat revêt une forme et une substance quelque peu anecdotiques. Préférant l’illustration et la vision collective, l’incursion laisse craindre une superficialité aimable. Mais lorsque débute le deuxième mouvement, "Que voir sinon qui s’obscurcit ?", l’observation prend une tout autre ampleur. Narrant les stages sur le terrain de certains protagonistes, le documentaire dévoile des apprentis confrontés aux situations réelles du métier. Les rires exprimés en cours laissent place à des paroles et des gestes hésitants. Entre émotions et quête de la perfection, ces futurs infirmiers cristallisent la dimension humaine de l’oeuvre, jusqu’ici sagement effleurée. Si bien qu’on en vient à regretter qu’elle n’ait pas pris le pas sur l’exposition précédemment citée. Avec ce qu’il faut de gravité et d’empathie, De chaque instant aborde subtilement les dysfonctionnements et les désillusions de la profession. Si le métier d’infirmier jouit encore d’une image noble dans l’opinion publique, on devine à travers les récits - directs et indirects - des futurs soignants une réalité plus ajustée : la souffrance des personnels hospitaliers, le manque d’effectifs, etc. Évitant soigneusement le pamphlet social, le documentaire équilibre cet arrière-plan avec les paroles des étudiants et des enseignants référents, tour à tour touchantes, légères, drôles. Sur cette même impulsion, le troisième et ultime segment, "Que désirer sinon qui meurt et qui déchire chacun ?", demeure la plus intéressante et puissante. La caméra se pose dans le bureau des référents, écoutant attentivement les témoignages et récits de stages de leurs étudiants. Le collectif cède la place à un espace intime où chacun(e) peut s’exprimer sans témoin direct. Si la satisfaction est de mise, certains entretiens laissent transparaître une frustration, un désarroi voire une tristesse. À l’image d’une apprentie impuissante face aux besoins d’une jeune migrante, potentiellement atteinte du sida, ou encore une autre stagiaire confrontée à l’hostilité d’un cadre de santé. Sans fard ni artifices ni musique, ce dernier chapitre évite habilement le voyeurisme et se concentre sur le réalisme même de chaque récit. De chaque instant laisse alors dévoiler toute la complexité de son sujet, et ses représentations, jusqu’ici convenues, laissent entrevoir des portraits formidables.
© LES FICHES DU CINEMA 2018