Synopsis
"Je ne prie pas. Je me suis fait confiance. Tout le monde peut le faire". Ainsi s’exprime Kalou Rinpoché, né en 1990 à Darjeeling en Inde, maître lama et "premier des héritiers de huit lignées de bouddhisme tibétain car Tulkou (réincarnation) de Kyabe Kalou Rinpoché mort en 1989". Sur le plan formel, le travail paraît simple : changements de format d’image pour coller aux époques, magnifiques plans du Tibet et des cérémonies, alternance d’interviewes (Kalou lui-même, sa mère, Hermès, sa fidèle amie et assistante depuis l’enfance). On craint une espèce de Little Buddha (Bernardo Bertolucci, 1993) documentarisé. Seulement voilà, Bruno Vienne et Jeanne Mascolo de Filippis l’ont suivi vingt-cinq ans durant. Cette durée et leur talent joints à un savant montage, confrontant, tout en semblant les fondre, les interventions de cet homme modeste et authentique aux images de son enfance, entre instants d’intimité et moments de ferveur des fidèles, en font une oeuvre d’une rare et saine profondeur. Émaillé de brèves incursions pédagogiques sur les fondamentaux du bouddhisme, le récit est fractionné en discrètes thématiques autour de ses questionnements d’adulte, au fil chronologique de sa naissance, de son ascension, de sa première confrontation à la mort - celle de son père et mentor quand il avait 8 ans -, de sa retraite spirituelle à 14 ans. Et ses réflexions interrogent rien moins que l’identité, la foi, la responsabilité et la réincarnation. Comment construire sa destinée à partir de celle qu’on vous a imposée ? "Je n’ai rien demandé. Je ne voulais pas devenir célèbre. Ça m’est tombé dessus comme ça". Comment s’émanciper d’un conditionnement voulu par une caste au nom de la tradition ? "On fait de nous un robot dénué d’émotion", regrette-t-il avec une confondante sincérité, racontant comment, enfant, on lui interdisait de poser sa tête sur les genoux de sa mère (toucher une femme étant prohibé), ou encore comment son tuteur le frappa à 8 ans pour avoir rêvé qu’il se mariait. "En quoi est-ce mal, la famille ?", s’insurge-t-il. Quant à la réincarnation, c’est devant le jeu vidéo Call of Duty - où "elle est plus rapide" - qu’il avoue... ne pas y croire ! Insert inattendu : Richard Gere expliquant avoir choisi le bouddhisme car il n’y a pas de Dieu créateur, ce qui rend chacun responsable devant l’éternité. Et de fait, préférer la responsabilité à la culpabilité inculquée par la religion, l’authenticité aux ambitions et faux-semblants (son ancien secrétaire faillit l’assassiner, furieux d’avoir été évincé au profit d’un plus jeune, mieux intégré à notre époque), la tolérance à la pureté impossible à atteindre... sont quelques-unes des professions de foi inouïes de cet être de spiritualité doué d’une acuité de conscience exceptionnelle qui nous enthousiasme et nous émeut par ses doutes, sa recherche, sa simplicité et son humour. Il a même des accents de Shylock quand il "révèle" manger, boire, déprimer, se reposer comme tout le monde. "Il faut vivre sa vie en famille ou seul, riche ou pauvre. Il nous faut de la compassion car nous en avons besoin pour apporter la paix dans le monde" conclut-il. Indubitablement, Kalou Rinpoché est homme de bien : un mensch.
© LES FICHES DU CINEMA 2018