Synopsis
Guitariste virtuose, leader des essentiels (et hélas confidentiels, hormis le mini-tube La Chambre en 1995) Kat Onoma, auteur d’albums solo (parmi lesquels le splendide Valley Session) et co-auteur d’une poignée d’entrées indispensables de la chanson française (Fantaisie militaire de Bashung, pour lequel il créa, avec son complice Olivier Cadiot, le beau Samuel Hall ; Paramour, deuxième album de Jeanne Balibar, dont il composa la plupart des morceaux ; l’Amor Doroloso d’Higelin, qu’il produisit...), Rodolphe Burger, 61 ans, n’aura eu de cesse, par ailleurs, de multiplier les collaborations, avec Cadiot, donc, mais également, comme on le verra ici, James Blood Ulmer ou encore Pierre Alféri. C’est sur un Burger dans les cartons, sur le point de déménager, que s’ouvre le film. En toute logique, tant ce que capte ici Patrick-Mario Bernard (co-auteur, avec Pierre Trividic, de Dancing et L’Autre) semble moins la rencontre d’un musicien avec un public qu’avec des lieux - une église, un espace culturel polyvalent, des scènes plus traditionnelles... - ; ainsi, d’une salle dont Burger dit qu’elle a la particularité "d’empêcher" de jouer un morceau. De fait, il est beaucoup question d’habitat, durable, passager ou le temps d’un concert. Burger, de toute évidence, est de ceux pour qui délivrer une mélodie ne saurait suffire ; il faut encore faire sonner l’instrument, communiquer sa matérialité, l’espace dans lequel il se déploie, sa résonance dans l’air, le glissement des doigts sur les cordes. Voilà donc un film en forme de patchwork qui, plutôt que de rendre compte d’une chronologie, témoigne des itinérances créatives de Burger, d’un pays, d’une région ou d’une scène à l’autre, dresse le portrait d’un artiste seul à (prétendre) savoir où il va, de quelle performance scénique accoucheront ces tâtonnements, de quel album, ces lignes de guitare collectées au gré des résidences, des collaborations. Pas moyen de se repérer dans le temps, de savoir si trois jours ou six mois ont passé, en revanche le montage, inspiré, agrège en ce patchwork l’essence et la gourmandise créative qu’annonçaient, très tôt dans le film, un poster du Yi Yi d’Edward Yang, un vinyle du Radioactivity de Kratfwerk, la Une de Libération annonçant la mort de Lou Reed... En bout de course, le récit s’effiloche davantage encore, n’est bientôt plus qu’un amalgame de visions éparses, jusqu’à épouser la forme d’un carnet de croquis (bribes musicales, choses vues sur le bord des routes...), sans rien perdre, pour autant, de sa faculté à tirer le portrait de Burger. Que dire encore ? Que le dernier chantier en date du musicien (lequel donne son nom au film), ou plutôt "l’album par défaut" qui, aux dires d’Olivier Cadiot, en résulta (pour ne témoigner que partiellement, ne fixer qu’à l’état résiduel, l’expérience partagée) est sorti en 2017, et qu’il est, comme toujours, très beau. Et que ce film qui, en quelque sorte, l’accompagne, a le bon goût de s’achever sur un plan de Rachid Taha (avec lequel Burger fonda le collectif Couscous Clan, dont est donnée à voir une performance scénique), disparu le 12 septembre 2018.
© LES FICHES DU CINEMA 2018
