Synopsis
Mallé en son exil commence par une citation prélevée dans La Double absence de Abdelmalek Sayad (éd. Le Seuil, préfacé par Pierre Bourdieu), précaution oratoire qui prend si bien valeur d’avertissement qu’il est impossible de pas la reproduire ici : "Immigrer, c’est immigrer avec son histoire, avec ses traditions, avec ses manières de vivre, de sentir, d’agir et de penser, avec sa langue, sa religion ainsi que toutes les autres structures sociales, politiques, mentales de sa société..." Ce ban fermé, nous pouvons dès lors faire connaissance avec Mallé Doucara, Soninké malien de confession musulmane, homme à tout faire de plusieurs immeubles qui, depuis vingt ans, mène à Montreuil, où il partage une chambre avec un compatriote, la vie effacée de bien des immigrés, vie dont on sait - le cinéma s’en étant fait le témoin à de nombreuses reprises - qu’elle est faite, de la belle aube au triste soir, de dures journées et de petits salaires, de répétitifs trajets en RER, d’amitiés de foyers, de longs appels téléphoniques au pays dont ils sont partis sans le quitter tout à fait, d’envois d’argent, d’une présence et d’une autorité auprès de la famille devenue lointaine, d’une souffrance qu’on ne peut qu’imaginer. Filmé avec régularité entre 2011 et 2016, Mallé détaille l’écartèlement qui est le sien entre sa place d’ombre invisible et d’"esclave" voué à raser les murs de la société française et celle qu’il occupe au Mali où il fait partie de la haute société et officie comme imam. Dans ce nouveau film de Denis Gheebrant cependant, une forme d’embarras silencieux, que le spectateur occidental encoure de partager à son tour, finit par prendre corps. Et malgré l’amitié sincère née entre les deux hommes pendant ce tournage au long cours, la prévisible empathie d’un cinéaste de gauche pour son sujet semble marquer le pas, en butte à certains des propos de Mallé. Lequel légitime la polygamie et l’excision. Rien de théorique ici qui serait comme le vestige d’un lien spirituel distendu avec le Mali. Il s’agit d’usages propres à son pays d’origine, de traditions non discutables à ses yeux, auxquelles il a soumis ses filles. Dans le même esprit, il défend, au nom d’une nécessaire hiérarchie de castes, l’existence de l’esclavage et se prévaut d’en posséder au Mali. Et si Mallé a parfaitement conscience que ses propos ne sont pas recevables en France, là-bas, ils relèvent selon lui du naturel et de l’évidence. En l’occurrence, Denis Gheebrant ne fait pas semblant de donner la parole, le cinéaste ne fait pas de son montage une entreprise de nettoyage, une instance vouée à expurger tout ce qui pourrait gêner aux entournures. Si incommodante que puisse être parfois la parole de Mallé, elle fait tout l’intérêt du film, le distingue d’un tout-venant du portrait d’immigré, vu et revu. Il en résulte une salutaire confrontation à l’altérité véritable, et non pas seulement de façade, qui démontre, si besoin était, qu’en dehors du prêchi-prêcha dominant, le respect ou l’amour de l’altérité, et de tout ce qu’ils impliquent, ne va pas de soi. C’est déjà beaucoup.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
Réalisateur