Synopsis
Voilà donc un film éclairant et drôle, tant il brasse et décape, sur le fond, des domaines aussi vastes et variés que la sociologie, la politique, les tréfonds de l’âme humaine jusqu’à se mettre en abyme. De quoi s’agit-il ? En déshérence d’un candidat de gauche à soutenir pour la Présidentielle de 2017, les auteurs engagés de Opération Corréa 1 & 2 (2015 & 2016) jettent leur dévolu sur le député-maire béarnais de Lourdios-Ichère Jean Lassalle, persuadés qu’il recèle, au fond de lui, un révolutionnaire humaniste. Leur but, au grand désarroi de leurs amis : le prouver à l’aide d’un documentaire destiné à sortir avant le premier tour, afin d’asseoir sa notoriété. Les plus rompus à la politique se souviennent des coups d’éclat de cet homme. En 2003, quand il avait chanté Aqueros mountanos à l’Assemblée Nationale pour appeler Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, à ne pas fermer une gendarmerie de sa circonscription. En 2006, quand il avait observé une grève de la faim d’un mois et demi devant le même Palais Bourbon pour protester contre la fermeture de l’usine Toyal, qui sera finalement conservée sur place. Mais aussi pour un voyage surprise en Syrie dont il était revenu en quasi défenseur naïf d’Assad, lequel venait de gazer son peuple - position qui avait perturbé les deux réalisateurs. Ces événements, bien sûr, sont présents dans le film. Ici, la chronologie est une mine d’or tant elle éclaire, en temps réel, les contours tortueux de l’aveuglement qui, tous, les poussa à croire, contre toute évidence, qu’il serait élu. En ressort une inadéquation de base entre l’idéalisme des uns et la réalité rocailleuse de l’autre. Tout cela ponctué par le désarroi grandissant des amis de Carles et Lespinasse et de quelques scènes cocasses, comme celle où Carles rencontre le candidat du NPA Philippe Poutou pour savoir s’il entrerait dans un éventuel gouvernement ou quand il réalise, lors d’un débat, qu’il a omis de le demander à Mélenchon ! Seuls, la mère et le frère de Lassalle semblent assez lucides pour ne pas y croire. Les images, superbes, illustrent parfaitement cette aporie en opposant la majesté rustique et intemporelle du Béarn à la banale instantanéité des enjeux politiciens. Avec en point d’orgue douloureux la joie enfantine de Lassalle présentant ses amis Pierre Carles et Philippe Lespinasse, qui "réalisent un film sur lui", alors même qu’ils n’ont pas osé lui révéler que le documentaire ne sortirait pas à cause de son voyage à Damas. Et ce terrible moment où, accusé d’avoir mis la main aux fesses d’une assistante parlementaire neuf ans plus tôt, Jean Lassale entame une discussion de sourds avec Pierre Carles, le raisonnement "politique" de l’un s’opposant à la dignité "blessée" de celui-là. En rupture de ban avec le Modem depuis mars 2016, Jean Lassalle envisage de se représenter en 2022, en ignorant que, dans un clin d’oeil facétieux, ses portraitistes se sont déjà tournés vers sa nièce Marie-Eve.oeuvre militante en création, le documentaire en arrive à définir les limites irréductibles séparant l’engagement et le spectacle. On en rit, on en grince des dents, on en soupire. Et on passe un moment fort instructif.
© LES FICHES DU CINEMA 2019