Synopsis
1973. Le monde est fragilisé par la Guerre du Kippour, ou encore par les soubresauts de la Guerre du Vietnam. Le chercheur Santiago Genovès embarque avec six femmes et cinq hommes à bord d’un radeau d’acier de 12 mètres sur 7, l’Acali. Pendant 101 jours, les cobayes de l’expérience vont dériver sur l’océan Atlantique, sans contact avec le monde extérieur, et sans moteur ni canot de sauvetage. À la manière d’un Philip Zimbardo (l’expérience de Standford) ou d’un Stanley Milgram (l’expérience de Milgram), le scientifique hispano-mexicain initia une expérience de coexistence forcée dont l’objectif était d’étudier les origines et les facteurs de la violence. Plus de quatre décennies plus tard, le Suédois Marcus Lindeen revient sur cette recherche hors norme, menée en pleine mer et en vase clos. Réunissant sept des participants encore vivants (dont les six femmes) dans une fidèle reconstitution du radeau, le réalisateur met en regard les écrits de Genovès et le récit de ses cobayes. Dans un montage aussi hybride que foisonnant, les témoignages et les archives révèlent d’abord l’enthousiasme d’une jeune équipe et les aspects les plus légers de l’expédition : le rapport à la nudité, la sexualité, l’hygiène corporelle, etc. Sans retenue ni honte, Fé, Servane, Mary, Maria, Edna ou encore Eisuke évoquent leurs ressentis respectifs. Tous et toutes furent choisis dans le but précis de créer un microcosme représentatif de la société de l’époque. Si la nationalité, la religion, l’origine sociale et la profession diffèrent d’une personne à l’autre, un élément commun les unissait : leurs profils "sexuellement attirants". Un critère que Génovès jugeait essentiel dans l’équilibre fragile de l’intimité en milieu collectif. Avec un grand sens de la narration, The Raft dévoile ensuite les limites de l’expérience. Alors qu’il pressentait l’ennui ou la frustration sexuelle comme potentielles sources d’une frénésie collective, Genovès avait négligé un facteur essentiel : lui-même. Les survivants de l’Acali révèlent alors les aspects sombres du chercheur. Fé dit avoir été victime de ses propos racistes tandis que Maria - première femme capitaine du monde à l’époque - dénonçait un homme profondément machiste. Un paradoxe précieux quand on sait que le scientifique avait attribué les rôles-clés aux femmes. Persuadé que ces positions de pouvoir allaient engendrer des tensions, dans une période où les luttes pour la parité se faisaient grandissantes dans les sociétés occidentales, Genovès fut finalement le seul à contester leur autorité. À bien des égards, le chercheur a saboté son propre protocole. Non sans quelques touches subversives, le documentaire révèle alors une figure mégalomaniaque, fascinante par ses motivations, attendrissante par son impuissance. Plus intime, ce portrait en filigrane révèle à quel point la couverture médiatique de l’expérience - rebaptisée alors a croisière du sexe" - avait affecté et décrédibilisé l’homme. Selon Fé encore, Genovès n’a probablement pas compris la réussite inattendue de son projet. En cherchant frénétiquement à faire jaillir la violence dans son groupe, le scientifique - tel un maillon faible - avait finalement créé un "État de paix".
© LES FICHES DU CINEMA 2019
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