Synopsis
Ce documentaire sur Maguy Marin est arrivé en salle au moment même où sa compagnie se produisait sur la scène du Théâtre de la ville de Paris avec le spectacle May B . La synchronicité des deux événements offrait l’occasion idéale de (re)découvrir l’oeuvre de l’une des grandes figures de la danse contemporaine. Si May B , chorégraphie fondatrice, fait désormais partie du répertoire, sa première représentation, en 1981, décontenança largement le public, lequel ne sut trop quoi penser de ces dix danseurs grimés d’argile, fagotés de tuniques crasseuses et informes, gesticulant par saccades et déversant un flot d’éructations et d’onomatopées. Sachant que "les gens aiment bien reconnaître les choses", Maguy Marin devait s’attendre à une telle déconvenue. Pourtant, l’excentricité de son oeuvre ne tient pas à un zèle qui s’appliquerait scrupuleusement à choquer. En effet, à son goût pour la dissonance artistique, par trop souvent stérile, elle associe une pensée intègre, cherchant, à travers la danse, à questionner les normes d’un champ social, culturel, et donc politique. Indignée par cette essence imputée à la danse, qui consiste à magnifier et à glorifier la perfection des corps - conception qu’elle vit exemplifiée lorsqu’elle poursuivit ses études au sein de l’école de Maurice Béjart -, la chorégraphe s’intéresse à " ceux qui sont entravés, empêtrés, ces corps malhabiles qui tiennent debout quand même", comme elle l’expliquait, en 2014, dans une interview au journal suisse Le Temps. S’écartant d’une narration qui se contenterait de retracer chronologiquement la carrière de la chorégraphe toulousaine, L’Urgence d’agir préfère épouser cette réflexion toujours en devenir, captée et rassemblée ici par David Mambouch, lequel "échange son regard d’enfant pour une caméra". Composé d’interviews et d’images d’archives intelligemment montées - que Mambouch agrémente de commentaires solennels mais heureusement mesurés -, le documentaire compose un patchwork passionnant sur l’oeuvre d’une vie, qui toujours s’essaye à s’inscrire concrètement dans le social : de fait, sans l’aide d’aucune subvention publique, Maguy Marin fit construire, en 1997, un centre d’art ( Ramdam ) à Sainte Foy-lès-Lyon (qui suscita d’abord l’étonnement des habitants) et offrit May B à la danseuse Lia Rodrigues pour qu’elle l’apprenne à son tour à ses élèves issus de la favela de Maré à Rio de Janeiro, la Brésilienne aspirant à former des "artistes-citoyens". Car, tel un aimant centripète, May B resurgit constamment au fil du documentaire : quoique la chorégraphie soit minutieusement et techniquement réglée, chacun de ses interprètes, depuis trente-sept ans, se rencontre et se reconnaît dans ce choeur de loqueteux. Il incarnerait ce vivre-ensemble qui, quoique sempiternellement régi par l’absurde fatalité d’errer pour périr, et d’être indéfiniment renouvelé, se doit de prendre position dans la contemporanéité, et d’agir collectivement malgré les disparités et les frontières qui tendent, de plus en plus, à les accroître.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
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