Synopsis
Le 11 février 2010, la planète mode pleure l’un de ses derniers génies et ne s’en remettra jamais vraiment. Après quelque quinze années à bousculer la famille de la haute couture, Alexander McQueen, son "enfant terrible", s’est pendu dans sa maison de Mayfair. La veille de l’enterrement de sa mère. Le documentaire que lui consacrent Ian Bonhôte et Peter Ettedgui revient sur le parcours du Britannique pour dresser le portrait d’un homme qui n’a cessé d’entremêler son esprit et son art. Fils d’un chauffeur de taxi et d’une enseignante, McQueen est parti de rien. Le jeune homme, peu intéressé par l’école, montre très tôt un grand intérêt et un talent naturel pour les arts et la mode, qu’il étudie avec acharnement. C’est Isabella Blow, influente journaliste de Vogue , qui le mettra sous les feux de la rampe. Très rapidement, à l’âge de 27 ans, McQueen est nommé directeur créatif de Givenchy. Il débarque à Paris avec son équipe, et leur folie détonne dans cet univers très puritain et élitiste. Des vidéos de McQueen restituent l’effervescence de cette incursion presque anormale de jeunes gens prêts à en découdre avec les conventions dans le monde feutré de la haute couture. Animé d’un esprit revanchard à l’égard d’une presse spécialisée qui ne le reconnaît pas comme faisant partie des siens, McQueen va toujours plus loin dans la démesure et la provocation. Mais le documentaire montre qu’il partageait en revanche un langage commun avec les employés en blouse blanche, un savoir-faire technique minutieux les réunissant dans un mutuel respect. Cependant la pression est énorme, car il lui faut, entre Givenchy et sa propre marque qu’il vient de lancer, élaborer quatorze collections par an. Plus le designer gagne en notoriété, plus il perd pied, au point de sombrer dans la drogue. Pour tous ses proches, qui sont nombreux à témoigner ici, McQueen créait de la beauté à partir de l’obscurité. Ses collections, plus du dérangeantes et extraordinaires les unes que les autres, le prouvaient. Le film fait d’ailleurs la part belle aux images de défilés. Du premier, organisé pour conclure ses études, à ceux pour Givenchy, en passant par son avant-dernier, Plato’s Atlantis, considéré comme l’un de ses chefs-d’oeuvres, ce sont des éléments incontournables du documentaire. Car ils nous plongent au coeur de l’esprit, torturé et sombre, du designer (qui avait été victime d’abus sexuel). Interviewé par la presse, le designer fait bonne figure, mais les archives personnelles le montrent sous un autre visage. Cet homme, provocateur en public, dissimulait une sensibilité extrême, comme en témoignent sa famille, son équipe et ses amis, impuissants à le retenir du bon côté de la force. Le film parvient parfaitement à montrer cette fragilité, en la mettant en perspective avec les dérives d’un modèle capitaliste intraitable. McQueen savait que le monde de la mode était vorace, il l’a même mis en scène dans ses défilés, en tentant d’en retourner les armes en faveur de sa force créative, jusqu’à confier le soin à deux robots de "sigler" sa robe haute couture dans un show déchirant de beauté. La bande-son du film, signée Michael Nyman, puissante et émouvante, achève d’illustrer parfaitement l’artiste et ses tourments.
© LES FICHES DU CINEMA 2019