Synopsis
Avec Norilsk , la fin du monde fait froid dans le dos ! Loin d’un désert de feu, cette fin représentée ici est une vaste étendue blanche, faite de neige et de glace. Toute blanche, n’était Norilsk, bout du monde sibérien et cité-belvédère dominant de ses immeubles aux couleurs passées un océan immaculé de plaines et de montagnes. Une île encerclée par de hautes congères en guise de barbelés, des montagnes et des cheminées d’usine comme des miradors, les loups et la nuit pour gardiens. Et des habitants renouvelant d’eux-mêmes leur peine. Ville la plus septentrionale du monde, accessible uniquement par avion et par bateau, Norilsk voit ses fondations s’enraciner dans une terre mêlée des cendres et des os du goulag - une ville qu’on dirait maudite et qui, depuis longtemps, bat au rythme de ses usines d’extraction de nickel, cuivre et palladium, activité qui règle la température de l’emploi et de toute vie là-bas. On entre ici comme dans une proposition de science-fiction, spectateur-explorateur bien au chaud devant l’écran, tenu d’apprécier la vie à -60° dans ce pôle d’inimitié pour l’homme ordinaire, et à travers lequel, dans des allers-retours entre le présent et le passé, le cinéaste se propose de nous guider. On comprend rapidement, on éprouve même, ce désir d’images dont il a sans doute été saisi devant tout ce blanc, ce territoire que ne vient interrompre que le vide de toute civilisation après lui ; ce territoire, son histoire, et ses habitants. Ainsi filme-t-il, beaucoup, des percées entre les immeubles, les montagnes, ces lignes qui traversent la terre comme le ciel et s’y dissolvent littéralement. Du vide. Ainsi, capte-t-il ces images d’espaces publics en déshérence qu’une vague jeunesse réinvestit - pour le film ? Ainsi enregistre-t-il aussi les témoignages de ces gens qui ont connu l’avant - le goulag, puis la construction de la ville nouvelle, pour un âge d’or, éphémère et, pour ceux qui sont restés, ou qui ne s’en sont pas allés, les tentatives de donner du sens à leur enracinement. Tout cela, ces images, ces lieux, les vivants et la mémoire des morts, aurait pu composer un documentaire passionnant, conjuguant les temps pour interroger les différentes natures de la folie des hommes et dresser l’Histoire d’un autre monde en trois épisodes entremêlés. De ce point de vue, Norilsk est décevant, et son récit déséquilibré. Un défaut de structure est sans doute en cause. Mais ce sont surtout les raisons qui ont poussé un cinéaste hanté par les questions de mémoire à les traiter si peu, ou avec un dispositif qui place le spectateur à ce point à distance de si belles archives (projetées sur le tout petit écran d’un téléviseur posé dans un non-lieu de la ville), qui demeurent obscures. De la même façon, comme à défaut d’intentions plus précises, le film cherche-t-il son ton sans le trouver, dans la mise en scène comme dans son travail du son, et en premier lieu dans le choix d’une bande originale omniprésente et dont les occurrences trop hétérogènes refusent au spectateur d’entrer pleinement dans la ville, le vent, la vie, la pensée de ces gens. Et dans celle du film.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
Réalisateur