Synopsis
Après le très bon film de fiction Le Chanteur, drame musical inspiré de la vie de son acteur principal Thomas Polly, Rémi Lange revient à son journal filmé avec ce troisième volet, vingt ans après Les Yeux brouillés. Lange commence son film en présentant ses deux caméras HD. Fini donc le ronronnement caractéristique du Super 8, finies aussi les prises s’interrompant brutalement faute de pellicule. Ce n’est pas le seul changement auquel L’oeuf dure nous confronte. Lange annonce qu’il ne se filmera pas, qu’il ne se supporte plus, que son corps de 48 ans est devenu monstrueux. Il dit aussi en avoir assez du commerce des hommes, et préférer celui des rats pointant leurs museaux entre les roches des calanques marseillaises. Marre aussi de l’amour. Plus envie de vivre avec quelqu’un. Jusqu’à ce casting qu’il organise afin de trouver l’acteur principal de son prochain film de fiction. Ainsi fait-il la connaissance de Dino, pas encore 18 ans, qui bientôt lui déclare sa flamme. C’est donc reparti : le journal, l’amour, les crises... Lange accepte finalement de figurer à l’image. S’il n’est plus le jeune homme d’Omelette , il a gardé cette voix de gamin si touchante. On assiste avec bonheur à l’idylle naissante des deux hommes. Aux côtés de Dino, Lange semble redécouvrir la joie. Arrive le jour où le jeune homme fait part de son désir d’enfant. Pas simple pour le bientôt cinquantenaire. Il se laisse pourtant convaincre. Reste à trouver la mère... Une fois de plus, le journal de Lange épouse curieusement les contours d’un film de fiction. L’auteur se pose la question depuis son premier long métrage : dans quelle mesure provoque-t-il des péripéties, des conflits, des rebondissements dans sa vie réelle pour que son journal soit plus narratif, intéressant, émouvant ? À cette question récurrente depuis Omelette , s’en ajoute une nouvelle : qu’est-ce qui est vrai, et qu’est-ce qui est joué, reconstitué ? Il semble que beaucoup de scènes soient "rejouées", improvisées d’après de véritables événements. La frontière entre fiction et journal est de ce fait plus que jamais floue, voire inexistante. Ne précisant jamais quel est le statut des scènes que nous voyons, Lange joue un jeu dangereux. Reconnu pour la brutale honnêteté de ses deux premiers journaux filmés, le rapprochant de la démarche d’un Hervé Guibert, il flirte aujourd’hui avec une autofiction ambiguë. Le fait d’avoir deux caméras n’apporte pas grand-chose à son propos, et a tendance à renforcer cette impression de fiction, de reconstruction. On pourrait objecter que si le film est bon, au fond, où est le problème ? La première partie du film est très réussie. C’est sans doute la plus brute, la plus "vraie". Elle a cette fraîcheur et cette vraie-fausse candeur que l’on aime chez Lange. La deuxième est moins heureuse. Le face-à-face entre Rémi et la potentielle mère de son enfant s’étire en longueur et ne sonne pas toujours juste. Cet oeuf dure n’a donc pas la force des deux précédents chapitres. Sa composante fictionnelle nuit à l’impact del "oeuvre, voire, peut-être, à son intégrité. Demeurent de très belles séquences, pleines de soleil et d’amour, entre les deux hommes.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
