Synopsis
À force d’infos et d’émissions TV de pur divertissement, on pensait avoir tout vu sur la façon de présenter les métiers de la restauration en général et de la vie hôtelière en particulier. Il fallait donc une belle inspiration et un sacré culot pour avoir l’idée d’incorporer au fil du récit de courtes chansons - et même des pas de danse ! - sans faire de digression ni paraître factice. D’autant que le pari est magnifiquement tenu. Outre qu’elles allègent et rythment le propos, elles le servent. Par exemple en éclairant les origines sociales, les ressorts psychologiques et les motivations des personnels lycéens et encadrants. En multipliant les styles (rap, chanson populaire, style comédie musicale, ritournelles, etc.) et en les faisant astucieusement alterner avec les séquences de pur documentaire, Jacques Deschamps donne à sa plongée au coeur du Grand Hôtel Desglières une atmosphère à la Jacques Demy doublée d’un sens de l’observation rappelant le Playtime de Jacques Tati. Le rythme épouse ainsi les temps de cours posés et le mouvement perpétuel autant que cadencé des activités en cuisine, en salle, dans les chambres... À ce titre, la bande-son est essentielle, avec ses cliquetis de couverts, le martèlement des talons, le murmure des voix... Les couleurs sont à l’avenant : on passe des tons gris, blanc et noir des cuisines aux ocres et blancs du restaurant et autres couleurs primaires des chambres. Mais surtout, le réalisateur décrypte, à travers les réactions de sa dizaine d’élèves de l’école hôtelière de Grenoble, les coulisses et les rigueurs d’un métier complexe tant par ses codes que par le fait de recevoir une clientèle particulière (riche). Plus édifiant encore, la découverte que nous faisons d’une jeunesse tiraillée entre idéal et réalité : "Tu es en noir et blanc alors dehors, on te croit riche. Finalement, tu nettoies les toilettes..., soupire Lucas, pas certain de poursuivre dans cette voie. D’autant qu’il a du mal à regarder les gens dans les yeux, une obligation dans ce métier. Laurine, elle, s’agace de devoir dire systématiquement "s’il vous plaît" aux clients. Quand elle ne prend pas, durant un cours, des guillemets (de citation) pour d’incompréhensibles 22 ! Il y a encore cette jeune fille qui connaît Émile Zola car c’est le nom de la rue où elle habite. Tel un inventaire à la Prévert, on citera le méticuleux, la râleuse, l’indécise, la rebelle au sentiment de soumission qu’elle ressent, etc. "Il n’y a pas de mauvais élèves mais il faut des rêves", chante le chef des travaux tandis que les enseignants s’amusent de la désuétude du vocabulaire (parler de préséance), de sa spécialisation incongrue (savoir ce qu’est un pédoncule) ou de ses particularismes : rendre une table "commercialisable". Volontaire ou non, l’humour y est ainsi permanent. In fine, tout autant que l’évocation d’un métier proche de la vocation, émerge en filigrane le portrait d’une adolescence écartelée entre les élans de son âge et les rigueurs d’une profession qui exige de la passion pour tenir le coup. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce film à la fraîcheur roborative dont l’authenticité, le culot et les divers niveaux de lecture et de joie nous régalent.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
