Synopsis
Directeur artistique dans le milieu de la musique, Marc di Domenico a été un proche de Charles Aznavour dans les dernières années de sa vie et de sa carrière. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé dépositaire d’une sorte de trésor que le chanteur gardait secret : les heures d’images qu’il avait tournées durant trente-cinq années, entre 1947, date à laquelle Édith Piaf lui avait offert sa première caméra, et 1982. De ce journal filmé, di Domenico s’est employé à faire un film en composant une narration et en l’adossant à un commentaire à la première personne (lu par Romain Duris), constitué d’un habile montage de propos d’Aznavour, tirés des cinq biographies qui lui ont été consacrées. Le film, en ce sens, en tant que création collective (Aznavour + di Domenico + Antoine Barraud pour le texte de la voix off), en tant que montage à plusieurs niveaux et plusieurs mains, est une réussite. L’ensemble, en effet, est assez gracieux. Le tissage entre des paroles et des images disparates réussit à être harmonieux et homogène. Cependant, même si des archives télévisuelles sont insérées pour fluidifier la narration et permettre à Aznavour d’apparaître à l’écran, on sent assez vite que le matériau de base (au-delà de la charge émotionnelle qu’il peut contenir pour les adorateurs du chanteur) est assez limité et que le film bute sur cette limite. En effet, qu’on ne s’y méprenne pas, la production du Charles Aznavour filmeur a plus à voir avec la vidéo domestique qu’avec le cinéma d’Alain Cavalier. D’une part, parce qu’il filme avec une caméra sans prise de son (ce qui limite les possibilités). D’autre part, parce que ses sujets de prédilection sont pour l’essentiel ceux de n’importe quel utilisateur amateur de petite caméra : les vacances (scènes de plage, de piscine, de repas...), la famille (quoi qu’il semble avoir assez peu filmé ses enfants et ses parents) et surtout les voyages (le gros du corpus relève, peu ou prou, du tourisme). Certes, la manière qu’a Aznavour de regarder les pays lointains dit sans doute quelque chose de lui, et le film montre assez finement qu’en filmant "l’étranger" Aznavour filme toujours en quelque sorte son enfance : les quartiers pauvres, les petits métiers, la famille, les jeux des gamins... Mais cette idée semble être chez lui assez inconsciente, et c’est davantage di Domenico qui la met en oeuvre. Plus généralement, hormis quelques plans amoureux sur les femmes de sa vie, peu d’images traduisent un sentiment ou une nécessité. Et donc, en définitive, ce qui fait défaut dans Le Regard de Charles , c’est précisément... un regard. Enfin, même si le texte est assez beau et d’une franchise qui fait honneur à Aznavour, le portrait qu’il dresse en bout de course laisse perplexe. En effet, il n’y est jamais question d’écriture, de musique, decréation, tandis que le thème de la réussite sociale ("fame and fortune") revient de façon obsessionnelle. Ce qui donne l’image moyennement passionnante d’un artiste dont la grande affaire de toute une vie n’aura pas été son oeuvre, mais sa revanche sur des origines sociales, un physique et une voix a priori disqualifiants.
© LES FICHES DU CINEMA 2019
