Synopsis
A l'occasion d'une fête populaire dans un village camerounais, J.M. Teno filme un rassemblement de chefs dans la grande tradition africaine. Mais, dans les coulisses, un adolescent miséreux est sur le point de se faire lyncher par la foule hostile : il a volé une poule et quatre poussins. Ici, la justice expéditive est encore de mise le plus souvent. En Afrique, l'adage "qui vole un oeuf, vole un boeuf" prend des accents curieux. Car celui qui vole un boeuf sera craint (et donc respecté !... Aux premiers rangs de ses grands voleurs figurent tout naturellement les dirigeants, les décideurs du pays), mais celui qui vole un oeuf pourra craindre pour sa vie (il est faible et ne recevra aucune pitié). Le bafoué a besoin de trouver plus faible que lui pour se venger des brimades qu'on lui fait subir. La misère est source de violences, de frustrations, de criantes injustices. De même, l'homme ordinaire trouvera dans la domination de sa femme une formidable revanche sur sa condition insatisfaisante. Au Cameroun, la femme est à la merci de son mari. Des femmes luttent, mais le droit donne toujours raison à l'homme. Il y a donc, au Cameroun, autant de chefs que d'hommes. Des chefs despotiques, omnipotents, qui ne craignent rien ni personne... si ce n'est un autre chef plus puissant ! Et que dire du plus grand d'entre tous, le chef de l'Etat, Paul Biya, qui en toute impunité jette au cachot l'un des plus grands journalistes du pays parce qu'il a osé envisager (sans doute à juste titre) une faiblesse cardiaque de son despote ? Dictature ? Non, "démocratie apaisée" (dixit Biya) ! Démocrature, répond Teno. Et si, au lieu de vouloir être chef, chacun se contentait d'être son propre chef et de se gouverner avec intelligence, modestie, respect... Après une brève (et attachante) incursion dans la fiction avec Clando, Teno revient à ses premières amours : le documentaire. Il nous offre une réflexion brillante, très adroitement construite et d'une finesse sociologique rare. L'Afrique des "dictateurs démocrates", des femmes bafouées, de la justice arbitraire, des corruptions, des drames de la pauvreté, y est dépeinte sans faux-semblants, mais avec sincérité, force et amour. Un document richissime.Chef ! est précédé du premier court métrage important de Teno (datant de 85), à la structure audacieuse (voix off vivante et images illustratives et désynchronisées) mais qui souffre de moyens techniques vraiment trop réduits pour réellement nous toucher aujourd'hui.
© LES FICHES DU CINEMA - 2000
Réalisateur