Synopsis
Marina Abramovic est artiste. Ni peintre, ni sculpteur, ni vidéaste au sens strict, elle est ce qu'on appelle une "performeuse", néologisme anglo-saxon qui désigne l'auteur d'événements artistiques utilisant son corps et son esprit comme matériaux de démonstration. Marina, filmée en studio en plans fixes par la caméra frontale de Pierre Coulibeuf, déroule une autobiographie minutieuse faite de petits riens et de grands chocs, mettant en forme fantasmes et obsessions, entrecoupés de scènes quotidiennes mises en images chez elle ou à l'extérieur. Née en 1946 à Belgrade, Marina détaille en voix off, année après année, sa vie, ses rencontres, son travail, les soubresauts de sa famille et de son pays. Fille d'un général de l'armée yougoslave et d'une responsable de musée sous le régime de Tito, elle fut, dès l'enfance, marquée par les armes, les couteaux, les uniformes, le foulard rouge, une certaine violence que l'on retrouve sublimée dans son oeuvre. Balkan Baroque s'ouvre d'ailleurs sur un jeu de couteaux entre les doigts écartés de Marina. Se succèdent, sur fond de récit en anglais au fort accent slave, d'autres séquences fortes : Marina et les rats, Marina se brossant furieusement les cheveux, Marina nue sur une croix de glace, Marina se dessinant au cutter une étoile de David sur l'abdomen... La naissance d'un frère, le divorce de ses parents, la désillusion après le militantisme au PC, le départ de Yougoslavie à 30 ans, l'engagement dans le mouvement artistique "Body Art", une rencontre et la séparation, les expositions, la guerre qui déchire son pays, les rituels quotidiens à Amsterdam où elle vit, un accident d'avion, des problèmes d'argent, un nouvel amour, autant d'étapes, de faits et d'états d'âme qui constituent le substrat des scènes-images qu'elle compose sous l'oeil immobile et attentif du cinéaste. Belle, très belle même, Marina, vêtue essentiellement de noir, parfois nue, sur un fond immaculé, s'implique radicalement dans ce document'art dont la sophistication glacée nimbe l'évident caractère passionné du personnage. Il en résulte une tension et un plaisir souvent palpables entre les exigences du réalisateur et celles de son sujet agissant. Ce portrait, éminemment stylisé, glissant, en d'incessants allers et retours, de la vie réelle à la mise en art de l'intimité psychique de Marina ne peut laisser indifférent. Soit le nombrilisme de l'entreprise agace et ennuie très rapidement, soit la personnalité peu commune et extrême de l'artiste fascine et maintient jusqu'au bout l'intérêt pour ces images souvent saisissantes desquelles Pierre Coulibeuf, déjà connu pour ses recherches décloisonnant les différentes formes d'art, a banni, malgré le procédé, tout voyeurisme.
© LES FICHES DU CINEMA - 2000