Synopsis
Un sous-bois : la caméra fait un tour de 360° sur elle-même. Puis des comédiens lisent un texte. Ce texte, c'est
Ouvriers, paysans de Elio Vittorini. Ils lisent successivement, incarnent peu à peu leur personnage. L'histoire qu'ils racontent, c'est celle d'un groupe d'hommes et de femmes qui, en Italie au sortir de la seconde guerre mondiale, ont reconstitué une communauté, tentant de rebâtir quelque chose sur les cendres du fascisme. Ils inventent de nouveaux rapports, toujours basés sur le travail (d'où la distinction entre les ouvriers et les paysans), mais où le sentiment amoureux prend aussi une place importante, tout comme la politique et la cuisine (vous apprendrez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la ricotta). Le projet de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub s'inscrit dans une recherche de radicalité qui frise l'ascétisme : une mise en scène réduite au strict minimum avec deux plans-séquences qui ouvrent et ferment le film et un texte lu et récité plus que joué. Rien de ce qui est dit ne sera montré. Il n'est pas question ici de remettre en cause le cinéma des Straub. Ce cinéma existe et a raison d'exister au même titre que Le Goût des autres ou Jurassik Park. Il répond sûrement à une nécessité impérieuse et militante de deux cinéastes intègres, et à l'attente d'une poignée de spectateurs. Doit-on pour autant lui donner notre bénédiction urbi et orbi ? Sûrement pas. Car si on a parlé de radicalité, on peut penser que les Straub et Huillet soumettent malgré tout leur film à un certain esthétisme : on a lu quelque part que les sous-bois était divinement bien filmés. La lumière y est effectivement très belle : est-ce là une limite à la radicalité ? Quelle est la raison d'un tel cadre qui amène du beau non pas dans l'histoire mais dans ce que voit le spectateur ? Il faudrait sûrement poser la question aux deux réalisateurs. Mais entendons-nous bien : il ne s'agit pas là de détail. On ne prend pas de plaisir à ergoter sur des choses anecdotiques. Car Ouvriers, paysans est suffisamment exigeant avec le spectateur pour que le spectateur soit exigeant avec lui. Venons-en au fait que le texte est lu et non joué. A priori, il s'agit là d'une négation du cinéma tel qu'on le connaît au profit d'une théâtralité revendiquée. A posteriori aussi. Le résultat est que, au lieu de mettre en valeur le texte et le texte seul, sa lecture suinte l'ennui, plonge le spectateur dans des abîmes de perplexité et le fait s'interroger non pas sur le contenu du film mais sur son contenant. En cela Ouvriers, paysans est un échec de cinéma. On peut respecter le cinéma des Straub et Huillet, on n'est pas obligé d'y adhérer.
© LES FICHES DU CINEMA 2001