Synopsis
Il aura fallu plus de deux ans après sa présentation à la "Quinzaine des Réalisateurs" au Festival de Cannes 2000 (projection qui fut saluée comme un événement) pour que ce film soit distribué en France. Il s'agit du dixième opus du réalisateur Béla Tarr, dont jusqu'ici aucun film n'était sorti dans notre pays. Toutefois, des rétrospectives lui ont déjà été consacrées en 2001 au Festival de la Rochelle et au Forum des images, qui ont permis de faire savoir l'importance de ce cinéaste hongrois. De quoi attendre avec intérêt la sortie annoncée de Sántángó (1991-1994)... en félicitant d'avance le courage du distributeur de ce film d'une durée de sept heures vingt-cinq !Pour le non-initié à son oeuvre,autant dire quasiment tout le monde, Les Harmonies Werckmeister constitue un véritable choc, un objet cinématographique de première grandeur. Béla Tarr, s'inspire d'un roman de Lázló Krasznahorkai, mais proclame : "Le cinéma n'est pas fait pour raconter des histoires..." On ne tentera donc pas de résumer ce film : un conte selon son auteur, dans lequel les décors sont aussi des personnages, et sont aussi imaginaires qu'eux. Un objet hors normes, servi par une admirable photographie noir et blanc et des plans-séquences à couper le souffle : notamment celui d'ouverture, où le "héros" Valushka, postier utopiste, visionnaire, met en scène une danse où les clients éméchés d'une taverne représentent les planètes. Valushka apparaît comme le seul être vivant, expressif, ainsi que son ami Eszter, obsédé par l'oeuvre de Werckmeister, organiste allemand de la seconde moitié du XVIIe siècle et inventeur d'une gamme tempérée. L'arrivée sur la place de la ville d'une attraction, une baleine empaillée, et d'un mystérieux prince, déclenche le chaos. Ouvriers et villageois se déchaînent et saccagent la ville, l'hôpital, sans qu'Eszter puisse les arrêter. Béla Tarr souhaite que le spectateur ne cherche pas à décrypter les allégories et les symboles dans son film, même si la beauté des images n'y est jamais gratuite. Pourtant, le long plan-séquence des ouvriers brisant tout et frappant les malades à l'hôpital et ne s'arrêtant que devant un vieillard nu et décharné fait sentir que seule l'innocence désarmée peut arrêter la violence. Cette touche d'optimisme éthique éclaire un film par ailleurs d'une sombre et austère beauté.
© LES FICHES DU CINEMA 2003
