Synopsis
La série sur le blues produite par M. Scorsese touche à sa fin (le dernier film Piano Blues de C. Eastwood ne sera pas distribué en salle). Ce sixième opus est signé Marc Levin (réalisateur du déjà "rappeux" Slam, Caméra d'Or en 1998). Après la quête des racines historiques (
The Soul of a Man) ou africaines (
Du Mali au Mississipi) du blues, ou de ses liens ambivalents avec le gospel (
Devil's Fire), il s'agit ici d'explorer les ramifications contemporaines de la musique du Delta, autour de son influence méconnue sur le rap. Tout commence par un e-mail, écrit par le rappeur Chuck D à Marshall Chess, fils de Leonard Chess, fondateur (avec son frère Phil) du mythique label de Chicago, Chess Records. La connexion est inattendue : Chuck D, leader de Public Enemy, groupe-phare du mouvement hip hop des années 80, réputé pour sa virulence, révèle qu'il a été très influencé par
Electric Mud, l'album blues-rock produit par Marshall en 1968, peu avant la vente du label. Ensemble, ils décident de produire une rencontre entre les vieux briscards d'Electric Mud et des musiciens de hip hop. En compagnie de Chuck, Marshall revient sur les lieux où il a vécu, enfant puis jeune adulte, et les moments les plus forts de sa vie. C'est l'occasion de raconter l'histoire du label et donc de sa famille : celle des frères Léonard et Phil, immigrants juifs polonais ayant fui les pogroms pour Chicago. Après avoir ouvert plusieurs bars, ils créent leur label en 1947 pour promouvoir les musiciens de blues qui s'y produisaient, comme Howlin'Wolf, Bo Diddley, Chuck Berry, et surtout Muddy Waters. Ce qu'enregistrent les frères Chess, c'est le blues urbain et sophistiqué qui a émergé dans les années 30, dans les cités industrielles. C'est, comme le résume bien un tag aperçu au gré de la balade, l'équation "juifs + noirs = blues". Petit à petit, la filiation rap-blues se dessine. Moins évidente que pour la soul, elle n'est pas forcément musicale. Dans un magasin de disques, le jeune DJ Juice insiste surtout sur les similitudes entre les pochettes de disques de blues et de rap, où, selon le même goût du clinquant, des chanteurs posent sur de grosses voitures. Mais, quand arrive le jour de l'enregistrement, on est plutôt déçu : le son obtenu n'est pas la révélation tant attendue. C'est d'autant plus gênant que, pendant tout le film, on sent que les participants se savent filmés et vivent avec une sorte de fausse spontanéité, ce qu'ils imaginent être un moment important de l'histoire du blues. L'émotion du film, car elle est tout de même palpable, provient en fait de la figure de Marshall Chess, très touchant à son insu. On sent ce vieux loup argenté hanté par une incurable nostalgie de l'époque à jamais révolue où il travaillait dans le blues, aux côtés d'un père très admiré.
© LES FICHES DU CINEMA 2004
